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CALIFORNIE

Yosemite National Park - Do not chase the bear

Sequoia National Park - Au pays des géants

Monterey - L'allée des sardines

San Francisco - Choc social et Painted ladies

San Francisco - Visite guidée et partie de baseball

San Francisco - Alcatraz et jardin zen

San Francisco - Golden Gate bridge et House boats

San Francisco - Castro et une librairie magique

San Francisco - Beat generation

San Francisco - Histoire de la ville

yosemite

YOSEMITE NATIONAL PARK
DO NOT CHASE THE BEAR

Avril 2018

    J’aimerais tant avoir le temps de visiter tous les grands parcs américains qui semblent chacun avoir son petit plus, mais les voyages, c’est pour beaucoup une affaire de choix. Après sondages et études de cartes, c’est Yosemite qui l'emporte. En regardant le dessin des États-Unis sur ma tablette, ça à pas l’air si loin de mon chemin, mais ça représente tout de même un petit détour de 7h à droite de la ligne qui descend vers San Francisco. C’est un détail. Et puis j’ai avec moi ma meilleure amie, ma radio satellite.

    Sur le chemin, un panneau indique la proximité du PCT, qui donne vie à Wild (le film est très bon, le livre est encore meilleur), et je fais la course avec des trains de fret, dans lesquels j’imagine un des personnage de Jack Kerouac, si ce n’est pas lui-même, faisant une sieste après avoir bu une bouteille de vin. Je fais un arrêt breuvage dans un truck stop qui cache un élégant mannequin de plastique dans les toilettes. Les routiers ont beaucoup d'humour.

    Passé Sacramento, toute connotation urbaine disparaît en faveur de champs bien rangés à perte de vue. L’arrivée au parc est loin d’être la fin du trajet. Je roule encore un long moment sur des routes dépourvues d’indications et mon GPS ne joint plus sa maison mère. Si je me trompe, je suis littéralement perdue au milieu de nulle part. Des petits tas de neige au sol, non rassurants, s’accordent avec le thermomètre de ma voiture qui indique moins de 50 degrés Farenheit, et je sais que 32 Farenheit correspondent à 0 degrés Celsius… Je pense à mon sac à dos préparé pour des températures tropicales et j’ai un peu peur pour la nuit. 

    Je trouve finalement mon camping, le Wawoma. La ranger m'accueille chaleureusement, mais quand son discours arrive à la section ours, son visage devient grave et sa voix autoritaire. Toute nourriture et produit odorant doit être impérativement rangé dans le coffre réservé à cet effet. Une pomme ou un tube de dentifrice laissé sans surveillance causerait mon renvoi IMMÉDIAT, ainsi qu’une amende de 5000 US$. Maintenant, si je croise un ours, je dois crier et faire de grands gestes pour l’effrayer, et dans aucun cas ne lui courir après. DO NOT CHASE DE BEAR! Bien reçu.

    Ma tentative de faire un feu, encore, avec du bois humide, encore, échoue, encore, malgré l’aide de mes voisins qui me prennent en pitié, encore.

 

       Au matin, je roule 45 minutes dans le parc jusqu’à Yosemite Valley, pour aller au seul centre d'information ouvert en cette saison. C’est un vrai village, avec magasins, bibliothèque, musée, café, autobus…

    Peu de temps après le retour de ce voyage, j’apprends que le parc Yosemite est le royaume des grimpeurs, et j’entends parler de ces légende que sont El Capitan et le Half Dome. Sauf qu’au moment où je suis dans le parc, je n’ai pas bien fait mes devoirs, et suis les conseils qu’on me donne. Je devrai donc absolument y retourner, pas le choix. Ceci dit, les directives du moment m’amènent à la cascade Nevada. La première heure de marche se fait parmis une horde de touristes, pour la plupart non adaptés à la marche en montagne. La pente est assez raide jusqu’à une première cascade. La chute d’eau qui nous accompagne nous arrose d’une pluie de gouttelettes égarées, comme du coton très bruyant.

    L’esplanade/aire de repos au sommet épure le trajet des marcheurs en chaussures de ville, sans eau ni envie d'en voir plus. Pourtant, une autre heure de marche accède au sommet de la cascade. Ici, c’est le toit du monde. Le parc s’étend vers l'horizon, laissant voir que la vallée est un canyon au bas de ces montagnes pierreuses aux falaises imposantes. Sous mes pieds gronde le torrent souterrain, qui est craché par la montagne et descend jusqu’en bas; loin, très loin. Si une neige tombante ne commençait pas, je pourrais  rester là des heures.

    De retour dans la vallée, je me promène aléatoirement dans les sentiers, rencontrant régulièrement des panneaux d’avertissement contre les lions des montagnes. Il est fortement déconseillé de marcher seul; et si jamais un lion nous attaque, “fight back!”. Euh….reçu...

    Ce soir, l’impossible se produit. J’allume par moi-même un beau et grand feu, sans aide, et surtout sans personne autours pour se rendre compte de cet exploit prodigieux. C’est ce qu’on appelle une victoire personnelle.

 

    Deuxième jour dans cet éden montagneux. Cette fois je reste dans le coin de mon camping, moins prisé à cette époque-ci de l'année, et vais aux chutes Alder. Il n’y a personne aux alentours, juste ces maudits panneaux qui contre-indiquent de marcher seul, et de se mesurer au lion si l’envie lui prend de jouer. Je préfère les arbres, mais je suis pas contre une partie de Uno si tu veux.

    Je marche deux heures, en sursautant à chaque son étrange. Ça à l’air que personne ne sort de Yosemite Valley. Il est vrai que la plupart des chemins des environs sont encore fermés à cause de l’hiver qui s'attarde.

    Arrivée aux chutes, je rencontre Annie, de la Nouvelle Orléans, qui vient elle-même de rencontrer Éric et Mike, de Fresno. L’union du groupe se fait sans même en parler, et je suis contente de ne plus être seule face à une éventuelle attaque féline. Le brave Éric aimerait faire connaissance avec l'animal, et c’est pour ça qu’on le laisse marcher à l’avant. Lui et Mike viennent régulièrement dans ce parc et le connaissent assez bien. On les suit tandis qu’ils nous font découvrir ce qu’il y a au-delà des recommandations habituelles. Annie est une “travel nurse”, une infirmière qui est mutée tous les trois mois dans un État différent. De fait, du haut de ses 28 ans, elle connaît assez bien les États-Unis et ses parcs nationaux et me fait un topo de ce que je dois voir. La liste n’arrêtera donc jamais de s’allonger!!

    Plus on monte, et plus il y a de neige. Annie a rencontré la neige pour la première fois il y a un an et est toute folle dans ce tapis blanc. Quand elle nous avoue ne jamais avoir fait de bonhomme de neige, Éric et Mike se lancent dans des instructions détaillées. Elle se met tout de suite à la confection d’un ventre bien rond, pendant que je cherche des bras, un nez et des yeux. Elle est toute excitée par son apprentissage et je suis ébahie de jouer dans la neige en Californie, en camisole.

 

    La végétation est recouverte d’une mousse qui me fait penser à un manteau de fourrure que les arbres auraient mis pour aller à l’opéra. Au sol, des pommes de pain énormes, et au sommet, des rochers empilés comme un jenga joué par des géants. Tout est plus gros en Amérique. Annie, en bonne millenium, ne pose jamais son téléphone et prend mille photos (c’est à peine exagéré) et me les enverra plus tard, ce qui me laisse, pour une fois, un souvenir visuel de ce voyage.

    Le soir, elle m’invite à éviter une autre nuit à lutter contre le froid, en profitant du deuxième lit de sa chambre d’hôtel à l’extérieur du parc. Elle m’emmène dans sa mustang orange de location, décapotée pour l’occasion, pour aller manger et boire une bière avec nos nouveaux amis. Vive la côte ouest.

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SEQUOIA NATIONAL PARK

AU PAYS DES GÉANTS

Avril 2018

      Dans ma contemplation incessante de la carte de la côte ouest, j’ai remarqué qu’au nord de Yosemite, il y a une grosse tache verte appelée Sequoia National Park. Au diable le fait que ce n’est pas du tout sur le chemin. À l’échelle des États-Unis, c’est un minuscule détour. La route me fait longer des vignes, des monts en forme de bisons et autres animaux de western. Si ce n’était pas de l’aiguille de mon niveau d’essence qui coule dangereusement dans le rouge, je pourrais rouler encore des heures de ce paysage irréel. 

      J’ai aussi très hâte de marcher dans ce coin de forêt. Un ranger me conseille uniquement des balades de 1 ou 2 kilomètres. J’essaie de lui faire comprendre que je n’ai pas fait tout ce chemin pour me promener, mais rien à y faire. J’ai envie d’aller me perdre dans les profondeurs de cette nature géante. Malheureusement, ce n’est pas ce genre de parc. Autant Yosemite regorge de défis pédestres, autant le parc des séquoias est une démonstration tranquille de ses habitants. Ainsi soit-il.

      Je commence par la présentation au fameux General Grant, le deuxième arbre le plus massif au monde. 1700 ans, 12 mètres de diamètre, 82 mètres de haut, 1325 tonnes. Il tient son nom d’Ulysses S. Grant, chef d’état major dans l’Union lors de la guerre de Sécession, puis dix-huitième président des États-Unis. Cet arbre symbolise les combattants de l’armée américaine par sa résistance aux tempêtes et autres catastrophes. Pourquoi les américains ont-ils tant besoin de se comparer, et de donner leurs noms, à la Nature, de l’avaler et lui attribuant une fonction (ici de mémorial) ? Le long de la route, il y a beaucoup de places pour vétérans. La guerre et l’armée sont si présentes dans le paysage que ç’en est effrayant.

 

      J’apprends que les séquoias ont besoin des feux de forêt pour survivre. Étrangement, ces conifères surdimensionnés ont une grande intolérance à l’ombre, et leur germination exige un sol nu, dépourvu de mousse ou résidus floraux. Les incendies, détruisant leurs voisins, créent des clairières autours d’eux amenant de la lumière, et vident le sol de tout ce qui gênerait leur repousse. Leur écorce, très épaisse et spongieuse, leur permet de résister à la chaleur du feu, et se reconstruit par-dessus les blessures, laissant des traces internes de leur histoire. 

      La protection des forêts, rendue bonne à limiter les incendies et autres incidents, est paradoxalement mauvaise pour les séquoias. Les gestionnaires des parcs travaillent à créer des mini feux maîtrisés pour essayer de contenter tout le monde; et on le sait que c’est pas facile.

 

      Une souche coupée est accompagnée d’une histoire, celle de la California Hoax. La conquête de l’ouest, en partie initiée par la recherche d’or, s’est accompagnée de la découverte de ces paysages grandioses et de forte taille. Des explorateurs venaient confirmer ces légende d’arbres géants. Il y a même une photo de Mark Twain, posant fièrement avec l’élégance du dix-neuvième siècle, le regard de celui qui a parcouru des milliers de kilomètres sans savoir où il allait, pour trouver l’incroyable. Il y a aussi l’entrepreneur Martin Vivian, qui a eu l’idée du siècle pour se faire du cash. Il va découper un de ces arbres en morceaux, et l’amener à Philadelphie pour la Centennial Exposition qui célébrera dans un an, en 1876, les cent ans de l'indépendance des États-Unis. Il engage un groupe d’hommes qui va passer une semaine à travailler avec des scies plus grandes que trois hommes (photo à l’appui). Une école de fortune est créée pour l’occasion juste à côté, pour enseigner aux enfants des bûcherons, pendant que ceux-ci compartimentent ce géant de bois, avant de le faire rentrer dans un train vers la côte est. Une fois l’arbre réassemblé à l’exposition, les spectateurs ont cru à une arnaque et crié au scandale.

 

      Le parc paraît tout droit sorti d’un conte des frères Grimm (dans ma tête c’est un compliment). Tout est disproportionné, accentué, en émane une aura de poudre de fée. J’étends ma promenade le plus longtemps possible tellement le lieu m’hypnotise, mais il est temps de partir. Annie m’a convaincue, avec son “I don’t know girl” (avec l'accent d'une femme du sud), de ne pas camper dans le parc dont les températures descendent encore en-dessous de zéro la nuit. À la place, j’ai réservé lors d’une de mes rares connections à internet une chambre d’hôtel à Fresno, à une heure et demie à l’est du parc.

    Le retour se fait au coucher du soleil. Le tapis moelleux vert de la forêt devient une magnifique silhouette bleue. La montagne s’évapore pour laisser place aux champs. Les vitres ouvertes font entrer l’odeur des orangers dans la voiture. De petits commerces solitaires me font penser aux photos de Martin Parr, attachants et apaisants. Une chance que j’ai perdu mon appareil photo, sinon ça me prendrait des années à faire la route.

 

      L’hôtel, lui, n’est ni apaisant ni attachant. C’est du genre avec une réceptionniste qui s’embarre elle-même, les lumières qui clignotent et un distributeur dans le couloir qui n’a pas fonctionné depuis 27 ans. Dans la chambre, un micro-onde et une table à repasser, comme si elle était prête pour du monde qui s’est fait expulsé de leur logement. La salle de bain est un couloir, avec les toilettes d’un bord et la douche de l’autre, recouverte de céramique d’hôpital du sol au plafond, me faisant penser au film “A cure for wellness” vu juste avant de partir en voyage. On a pas envie d’être seule dans un hôtel qui nous rappelle ce film-là.

      Ma faim me fait m’aventurer à deux coins de rue au Triangle Drive In Burger, un genre de stand où on imagine un service au volant dans les années 50s. La présence d’une famille avec enfants me rassure un peu, mais je me sens observée. C’est pas vraiment une place qu'on vient visiter. Je doute fortement d’être dans le centre de Fresno, comme le site internet de l’hôtel l’indiquait. Je règle mon cadran pour une heure matinale, je ne veux pas abuser de l’hospitalité.

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MONTEREY

MONTEREY

L'ALLÉE DES SARDINES

Avril 2018

           Monterey m’évoque le célèbre festival de musique qui inspira Woodstock, l’arrière-pays californien, et le chandail avec le nom de la ville en grosses lettres qu’une amie porte fièrement depuis qu’elle l’a visitée. C’est presque sur le chemin vers San Francisco, alors ce serait bête de la rater.

      La route pour y accéder depuis Fresno est longée d’une escalade de publicités de centres de dégustation de vins aux slogans inventifs, et de villes aux noms fantastiques comme Sherwood, Los Bagnos ou Squaw Valley. Des meutes de motards m’accompagnent dans ma quête occidentale. L’arrivée sur le bord de l’eau est un spectacle éblouissant; une brume épaisse vient de l’horizon, comme des limbes essayant d’enrober la terre, avant d’être ravalées comme par magie par l’océan quand arrive midi.

 

      Monterey a construit sa richesse sur la mise en boîte de sardines, d’où le nom de son artère touristique: Cannery row. C’est la rencontre entre Coney Island et la ruée vers l’or. De chaque côté, il y des magasins de bonbons ou de vieilles photos juchés d’enseignes vintages au look de vieux manège. C’est une effervescence éphémère mais qui me plaît.

       La deuxième partie historique importante pour la ville, est l’hommage que lui rend l’auteur John Steinbeck dans plusieurs de ses romans. Une exposition de cire lui est consacrée, intitulée: “John Steinbeck - journey into the past - a 20 minutes voyage into Monterey’s turbulent and fascinating past.” Ses livres sont en vente dans chaque boutique, comme une preuve par écrit de l’existence de l’endroit.

Au bord de l’eau, il y a une belle sculpture de personnes relaxant sur un rocher. Elle est originale, simple et complète; les individus sont Steinbeck (évidemment), des immigrants, des représentants des premières Nations, des ouvriers, vacanciers, pêcheurs, tous occupant le même espace, sans se gêner, avec le flegme de la côte ouest. Elle résume l’histoire de la ville sur plusieurs générations et inspire la tranquillité.

 

         Histoire de sortir de la zone d’activité, je profite de la promenade aménagée sur le bord de l’océan, appelée Ocean view boulevard. C’est une grande allée piétonne couverte de pâquerettes mauves à l’odeur enivrante. Elle est le décors de beaucoup de photos de bal de finissants, de grossesses, de bébés déguisés et j’en passe. De belles maisons aux grandes baies vitrées longent cette route. Elle donne aussi le goût de s’asseoir sur un de ses bancs et de méditer en regardant l’horizon.

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SAN FRANCISCO

CHOC SOCIAL ET PAINTED LADIES

Avril 2018

      J’ai gardé San Francisco pour la fin, comme une belle finale assurée dans cette ville qui me fait rêver depuis des années. Mais avant, je fais une pause de l’autoroute 1 à Half Moon Bay. La ville est paisible, le genre d’endroit ou on va relaxer, profiter du son des vagues et de l’odeur des fleurs. Les plages sont remplies, même si l’eau est vide de nageurs. Le monde vient profiter du sable, sans intention de se baigner. Comme aller au parc, mais avec l’air marin en prime. L’océan est ici un décor, un son.

 

      Je dépose un peu honteuse la voiture de location, qui est autant recouverte de boue que mon sac. À peine arrivée dans le parking, on me fais signe que je peux m’arrêter et donner les clés. Là, maintenant. J’ai l’impression de partir sans dire au revoir. Je tente tant bien que mal de vider le coffre sur mon dos devant une femme qui attend que j’ai fini pour faire son travail. Ce sera pas long.

 

      Mon entrée dans San Francisco est un choc. Mon auberge est dans le quartier Tenderloin, supposé être dynamique. C’est surtout le quartier des sans-abris. Ils sont par dizaines à chaque bloc, se parlant à eux-même, en signe de la non gérance des maladies mentales dans le pays. Ils sont en colère, affamés, et parfois agressifs. Je me fie aux habitants qui les dépassent sans faire attention, sans crainte apparente, mais ça m’attriste.

      Une fois mon sac déposé, je pars en direction des Painted Ladies, ces célèbres maisons dont les différentes couleurs de peintures sont étudiées pour mettre en valeur leur architecture. Avant de les apercevoir, je remarque le parc Alamo, où sont assis pas mal de monde, tous regardant dans la même direction, en biais. Je me joins à eux, comme un mouton bien dressé, mais un mouton fasciné.

      Les painted Ladies sont de belles maisons élégantes, en introduction de tous les films et séries télé se déroulant dans cette ville. Ce qui attire mon regard, ce sont les rideaux tirés à chaque fenêtre. Après un moment, je vois du monde entrer par une des portes colorées, visiblement habitée. Des personnes ont probablement payé une fortune pour vivre dans une maison épiée chaque jour de l’année. Ça éloigne des voleurs, certes, mais aussi de l’intimité.

 

      Je me promène ensuite sur la rue Haight où deux magasins défient mon porte-monnaie. Le premier est Decades of Fashion, qui vend les plus beaux habits de différentes époques. Le deuxième est Amoeba Music. Ce dernier m’a fait imaginer des stratagèmes pour sécuriser un vinyle dans mon sac à dos, mais je n’ai pas cédé à la tentation. Après tout, je suis dans cette ville pour une semaine, qui promet d’être remplie de découvertes et d’émotions.

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SAN FRANCISCO

VISITE GUIDÉE ET PARTIE DE BASEBALL

Avril 2018

      Ma journée commence par la rencontre de deux femmes inspirantes. Lina est une allemande de 18 ans en voyage solitaire de cinq mois. Elle a visité la plupart des parc nationaux de l’ouest du pays et part bientôt pour un mois de bénévolat à Lake Louise en Alberta. Sonia, un vancouveroise de 19 ans, est près de la fin de ses trois mois de voyage solo. Dans quelques jours, elle se cherchera un vélo pour remonter la côte jusqu’à Seattle.

 

      Ensemble on participe à une visite guidée gratuite de la ville. Il y en a dans beaucoup de villes dans le monde et c’est un excellent moyen de découvrir la place sans frais, et par des passionnés. Cette visite est particulièrement intéressante. J’apprends que dans la jeunesse de la ville (fondée en 1776 par les espagnols, puis fortement développée lors de la ruée vers l’or), il y avait un ratio de trois femmes pour dix hommes. Alma Bretteville tourne la situation à son avantage en posant pour des artistes, s’attirant l’admiration des hommes d’importance. L’un d’entre eux est le magnat du sucre Adolph Spreckels, de loin son aîné, qui l’épouse en lui promettant monts et merveilles. L’élite voit cette union d’un mauvais oeil et les termes “gold digger” et “sugar daddy” voient le jour.

        Voulant inspirer le respect de ses pairs, Alma part en Europe parfaire son éducation et y rencontre de nombreux artistes. Elle revient avec des architectes qui aident à façonner le visage de San Francisco, qui vient de subir une destruction massive après le séisme de 1906. Elle ramène aussi des prostituées de Montmartre, à qui elle donne une chance de prospérer (dix hommes pour trois femmes!). Les travailleuses s’installent dans une rue qui s’appelle maintenant Maiden Lane, près de Union Square, et y ouvrent bars et maisons closes, vite remplis par les orpailleurs. La rue devient vite le repère de la pègre, chinoise entre autres. L’un de ses dirigeants trouvait des hommes forts et leur offrait une bière à saveur d’opium. Ils se réveillaient plus tard sur un bateau, aux travaux forcés. San Francisco étant à l’époque une ville de passage, personne ne remarquait leur disparition, ils s’étaient fait “shanghaied”.

Au début du développement de la ville, le port était saturé de bateaux de nouveaux arrivants, et les logements manquaient. L’idée est alors venue de construire des maisons sur les bateaux. Plus tard, la côte est prolongée par un énorme apport de terre, et les embarcation sont simplement enterrées. Aujourd’hui, lors de constructions, on retrouve régulièrement des épaves centenaires dans les fondations.

         La visite se poursuit dans le quartier chinois, où l’on passe devant l’immeuble où Bruce Lee a vécu les deux premières années de sa vie avant de partir pour la Chine. L’immeuble est vieux, mais paraît convivial et lumineux, comme le personnage. Les immeubles ont souvent trois drapeaux hissés sur le toit; celui des États-Unis, celui du pays d’origine de la famille résidante (Chine, Corée, Japon…) et celui des couleurs de la famille.

      Le guide nous explique que pendant le développement de la ville, la première vague d’immigration était essentiellement irlandaise. Hors, ce peuple amoureux de bière attrappait facilement le choléra par l’eau qui hydratait sa gueule de bois. Les chinois, buveurs de thé, ébouillantaient les microbes. On passe par une mini boutique où deux femmes insèrent des papiers porteurs de chance dans des fortune cookies. Une machine dépose la pâte sur des petits plats ronds, sur un disque qui les fait passer à la chaleur. Les femmes y posent le papier, plient la pâte en deux, et lui donnent sa forme en s’aidant d’une tige en métal. Elles ont une rapidité et une aisance d’exécution impressionnante, et ont l’air de pouvoir parler d’actualité en même temps.

      La promenade nous amène au square Saint Mary, entre le quartier chinois et les grands buildings du centre-ville. La population y est diverse. Une groupe fait de la méditation, imperturbable comme des statues de sel. D’autres jouent au poker, assis sur des caisses de lait et les cartes distribuées sur une boîte en carton. Ça ressemble au salon d’une maison de retraite où les aînés peuvent enfin se consacrer aux activités qui leur plaisent, sans limite de temps ni de jugement. 

      À San Francisco, tous les immeubles à bureaux sont obligés par la loi d’offrir un espace public. Certains créent des parcs attenants à la bâtisse, d’autres choisissent des options plus dures à trouver et demandant moins d’entretien. On attérit ainsi sur le toit d’un building du centre-ville, qui nous laisse voir la métropole depuis la tête d’un géant. Ainsi se clôt la visite.

 

      Le soir, Lina m’accompagne au stade AT&T pour assister à une partie de baseball. Quand on arrive à nos places, on ne peut s’empêcher de s’extasier de la vue sur la baie, au désarroi de nos voisins. C’est vrai qu’on est assez loin du terrain, dans la section des pauvres (et de ceux qui ont acheté leurs billets le jour-même), mais je suis très excitée à l’idée de voir une partie dans un vrai stade américain. Tu vas devoir faire avec mon enthousiasme débordant.

      On est malgré tout pas si mal placées et l’action se laisse bien voir. L’ambiance est enivrante, loin des matchs d'exhibition de Montréal. Ici il y a un enjeu, une coupe à gagner. Les supporters portent le chandail de leur joueur préféré et il y a une relation entre l’équipe et le public. Pour s’alimenter, beaucoup de nourriture variée est disponible à l’intérieur, et un vendeur ambulant propose du chocolat chaud, qu’il fait sortir par un tube pressions d’un sac à dos à la Ghostbusters. Une belle manière de contrer le petit vent sournois.

      Le résultat est de 4 pour les Giants de San Francisco, contre 3 pour les Nationals de Washington, et trois home runs. La soirée est parfaite.

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SAN FRANCISCO

ALCATRAZ ET JARDIN ZEN

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Avril 2018

      Avec Lina, nous nous rendons au jardin japonais, dans le Golden Gate Park (trois fois la taille de Central Park). Il est gratuit de 9h à 10h, et on est pas les seules à être au courant. Malgré l’achalandage, le jardin est paisible, à la végétation qui nous ensevelit tout en étant douillette. Un étang est habité par des carpes. Je commence à comprendre la beauté de ce gros poisson aux couleurs calmantes, au motif de peau hypnotisant, et aux mouvements zen.

      Un passant nous propose son aide quand il nous voit carte à la main. Il nous conseille d’aller au dernier étage du musée Young près de là, pour profiter de la vue sur le parc. Quelle belle idée.

 

      J’ai réservé une entrée pour aller visiter Alcatraz, mais avant ça je m’arrête manger à Pier 39. L’endroit ressemble à Monterey, en plus citadin. On y trouve de grosses enseignes anciennes, un look de vacances estivales des années 50, au début de l’existence du mot vacances. Des lions de mer bronzent sur des quais. Ils se poussent les uns les autres, se font tomber puis se propulsent sur la plateforme. Ils sont très drôles à regarder et écouter.

 

      Je suis étonnée de la proximité d’Alcatraz par rapport à la ville. Une traversée de vingt minutes en bateau donne l’occasion de voir la ville dans son entièreté. Jusque là j’en avais juste vu des bouts entre deux immeubles, ou partiellement depuis des toits. Le panorama de la cité pastelle montre qu’il y a peu de hauts buildings, contrairement aux autres grandes villes américaines que je connais. 

       De multiples avertissements nous indiquent qu’il est interdit de boire de l’alcool sur l’île, mais qu’il y a un bar à disposition sur le bateau. Tout ça a un air de bootleg pendant la prohibition.

      On est accueillis sur l’île par une femme qui nous parle d’un défi qui se passe chaque année, celui de rejoindre la terre à la nage. Peu y arrivent, mais un des vainqueur est un enfant de sept ans! La ville est à 24 kilomètres, l’eau est froide et les courants sont forts. Personnellement, je ne me tenterais pas.

      Alcatraz signifie fou de bassan en espagnol. Ce nom lui a été donné puisqu’elle sert de refuge a une grande quantité de ces oiseaux. L’île a d’abord été une base militaire, de 1850 à 1909, qui organisait régulièrement de grandes soirées mondaines. Elle fut ensuite une prison militaire de 1909 à 1933, puis une prison fédérale de haute sécurité de 1934 à 1963, avant d’être occupée par les amérindiens de 1969 à 1971, pour finalement devenir cette attraction touristique populaire.

      La prison en elle-même occupe une toute petite partie du territoire. Autours, il y a un mini village où résidaient les surveillants avec leurs familles, et un magasin général. Des témoignages des enfants des employés racontent comment ils aimaient prendre le bateau tous les jours pour aller à l’école, et revenir le soir sur leur île à la vue magnifique et au calme. Des photos montrent des courses de voitures à pédales dans les ruelles. Mis à part la présence de barbelés déterminant les limites de la “ville”, le contact avec les détenus était inexistant. Les adultes, eux, se sentaient reclus des divertissements de la vraie ville, conscients de leur proximité avec les délinquants les dangereux du moment.

      La ligne pour récupérer l'audio guide qui nous présentera la prison se fait à l’endroit où les nouveaux prisonniers (fresh fish) se faisaient déshabiller, fouiller, doucher, et donner leur linge de détenus. Les douches, à aire ouverte, étaient accordées deux ou trois fois par semaine, sous le regard vigilant des surveillants.

       Les explications de l’audio guide sont très théâtrales (jeu d’acteur, mixage sonore…), mais instructives, et donne à la visite une note plus personnelle. J’apprends que les cellules font deux mètres de haut, un mètre et demi de large et trois mètres de profondeur. Le soleil passe difficilement à travers les vitres vers les cages à lapins qui servent de chambre tout inclus (lit, toilette, lavabo). La salle à manger est la pièce la plus dangereuse à cause des ustensiles fournis. Des bonbonnes de gaz  étaient cachées au plafond en cas de débordement. Débordements il y a eu, mais pas les lâchés de gaz, probablement parce que les employés ne voulaient pas s’auto-neutraliser.

      Une porte donne accès à une cours de récréation, dont les hauts murs bloquent la vue et le soleil. Des lignes de limitations de terrains de jeux sont encore visibles. On imagine facilement l’effet que devait avoir cet air frais sur les occupants.

     La visite amène ensuite vers les “trous”, des cellules de quatre murs sans lumière. Je regarde des touristes se faire prendre en photo dans ces trous noirs, sourire aux lèvres ou en imitation de frayeur, selon le goût, pendant que j’écoute le témoignage d’un détenu. Il décrochait un bouton de sa chemise, le lançait en l’air et le cherchait, à quatre pattes dans le noir, pour s’occuper. Pour ma part, je vais rester dans le couloir.

       La bibliothèque contenait quinze mille livres. Un prisonnier de confiance travaillait à la bibliothèque et apportait les ouvrages commandés dans les cellules. Les détenus pouvaient aussi s’abonner à des magazines ou des cours par correspondance. L’un d’eux lisait entre soixante quinze et cent livres par an, ce qui le rendait bien plus éduqué que l’homme moyen. Ça leur permettait de se distraire le soir, quand ils entendaient au loin des soirées dansantes du yacht club, juste en face.

      Il y a eu quatorze tentatives d’évasion. Un seul est arrivé à nager jusqu’à la ville; une fois sur la rive, il s’est évanouit d’hypothermie. Des enfants, le trouvant inconscient, ont appelé la police pour l’aider… Trois autres ont simplement disparus. Les autorités les assument noyés, gardant la réputation de la prison intacte. Dans les faits, on a jamais retrouvé leurs corps, et des détenus racontent que les fugitifs apprenaient l’espagnol dans les mois précédant l’évasion. La fin de l’histoire est libre d’interprétation.

      Dans la boutique souvenir, on peut acheter des gobelets de prisonnier, des tee shirts avec la mugshot d’Al Capone, ou une BD “escape from Alcatraz”. Un ancien détenu est assis à un bureau, prêt à dédicacer son autobiographie. Sa solitude est dérangée par un ou deux touristes qui lui tendent son livre, sans le regarder ni lui parler. Le livre ne sera probablement jamais lu, mais la signature est l’ultime souvenir. Temps qu’on a pas lu le livre, on sait juste que cet homme a fait quelque chose (visiblement très jeune) d’assez grave pour être enfermé aux côtés des pires malfrats de l’époque…

      Alcatraz est fascinant. Le lieu possède quelques trésors magnifiques, et une preuve accablante de ce que l’homme peut faire à ses semblables. Je parle aussi bien de l’histoire des détenus que des architectes de la prison. On me demande souvent pourquoi je vais visiter ce genre d’endroit morbide (comme les tunnels de Cu Chi au Vietnam ou les Killing fields au Cambodge). Je trouve important de connaître l’Histoire dans son meilleur et à son pire. Connaître jusqu’où peut aller l’humain, pour essayer d’en apprendre et de ne pas reproduire les même erreurs. La thérapie par le choc est parfois un bon moyen de sortir du déni. J’espère ne pas manquer de respect envers les victimes.

 

      Sur le retour, j’ai besoin de me changer les idées avant de rentrer à mon auberge, et passe par un bout de Lombard Street. C’est un petit espace de rue (un bloc), qui descend une forte pente en zigzag, avec une belle vue sur la ville. La route est bordée de fleurs en abondance. Entre les lacets, des entrées de garages vers des maisons qui ne font pas pitié. Ça finit la journée en beauté.

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SF GOLDEN GATE

SAN FRANCISCO

GOLDEN GATE BRIDGE ET HOUSEBOATS

Avril 2018

      Aujourd’hui, c’est ma rencontre officielle avec le Golden Gate bridge, et je suis nerveuse comme avant un rendez-vous important. Après une marche le long de la côte ouest du très beau parc Presidio, j’arrive à l’entrée du pont. 

      La croissance de la métropole et de ses environs exige, au début du vingtième siècle, un accès plus rapide entre San Francisco et Sausalito que de faire le tour de la baie. C’est l’architecte Joseph Strauss qui a est choisi pour mener ce projet. Les grands défis sont les forts courants (celui d’eau douce lutte contre celui d’eau salée), la forte concentration en sel dans l’eau et le brouillard fréquent, qui favorisent l’érosion. La construction s’étend de 1933 à 1937. J’imagine les premiers surveillants d’Alcatraz observer l’évolution des travaux. D’abord, des plongeurs ont installé les fondations au gré des courants forts et froids. Puis les deux tours ont été érigées, raccordées de câbles, et enfin la route fût construite, finissant le pont suspendu le plus long du monde, jusqu’en 1964. Sa couleur “orange international” est choisie par Irving Morrow, contre l’avis général. Bien que la couleur ait été gardée depuis le début, la composition de la peinture a, elle, évoluée avec le temps pour mieux vivre avec son temps.

      Je commence les deux miles qui me séparent de Sausalito. Contrairement au pont de Brooklyn, que j’adore traverser à pieds, le trottoir est ici juste à côté des voitures, engendrant un bruit d’autoroute qui accompagne mes pas. Ça ne m’empêche pas d’être émue de traverser ce géant de fer rouge, aux boulons parfaitement espacés les uns des autres, avec une rigueur douce, et aux lampadaires d’un ancien temps. Des éclaboussures de peinture au sol lui donnent un côté fait à la main.

      Une porte fermée sur une des tours m’intrigue. Est-ce pour monter au sommet? Descendre vers l’océan? Contrôler les lumières ? Une prise électrique sort d’un trou dans la porte pour attiser encore plus mon imagination.

      Régulièrement, des poste d’ “emergency phone and crisis counseling” reliés directement à un centre d’aide servent à prévenir les suicides très (trop) nombreux. Soixante sept mètres, soit quatre secondes de chute, séparent le pont de l’eau froide, d’où je vois d’ici la bataille des courants. La ville a enfin voté pour l’installation de filets de sécurité sous le trottoir. Apparemment le look du pont a longtemps été plus important.

 

      De l’autre côté, c’est Sausalito. Et à l’autre bout de la ville, il y a des houseboats, des maisons flottantes. Un amarrage d’au moins cent bateaux, sur lesquels sont construits des maisons. La marée basse les ancre aux sol, mais j’apprends plus tard que la marée haute les anime d’un remous de navire de croisière. Ce sont de vraies maisons, sur ce qui semble être des coques stabilisées par des murs en plastique, et accrochés à la rive par des câbles. Elles sont rangées comme des barques sur des pontons, avec des balcons aménagés et des façades de couleurs. Chaque ponton a son entrée, un faux cadre de porte ou un cabanon comme un hall d’immeuble, avec des boîtes aux lettres et un tableau de petites annonces. Certaines houseboat ont de petits bateaux raccordées à elles comme une voiture au garage. Une a des tubes qui jouent de la musique avec le vent sur la terrasse, simulant le bruit des mâts d’un navire; une autre est ornée d’une girouette baleine. Une autre encore présente un moulin à vent. On dirait un attroupement de marins cloués au sol dans le déni, comme dans Mary Poppins, ou le des capitaines Ahab de Moby Dick, à la retraite. 

      J’ai du mal à quitter l’endroit, mais il est temps de prendre le ferry pour retourner de l’autre côté, juste le temps de longer mon nouveau pont préféré sous un nouvel angle.

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SAN FRANCISCO

LE CASTRO ET UNE LIBRAIRIE MAGIQUE

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Avril 2018

      Je me sens tout de suite à l’aise dans Castro, le quartier gay de la ville. Les noms des bars, restaurants et magasins sont provocateurs, mais pas dans son visuel. Au contraire, l’endroit est propre, aéré, il y règne une bonne ambiance. Les restaurants font tous envie et il y a des restants de cherry blossom qui embelliraient n’importe quelle déchèterie de toute façon. Le quartier est empreint de tranquillité, il se veut en paix. Les drapeaux arc-en-ciel et des plaques commémoratives rendent hommage aux opprimés et à ceux qui ont aidé la cause, dont bien sûr Harvey Milk. En dehors de certaines touches colorées, comme la longue barbe rose d’un homme qui profite de l’air frais sur les marches de sa maison, les alentours ne sont pas exubérants, mais plutôt représentatifs d’une ville bien aménagée. Des murales bordent les rues en pente qui font symbolisent la ville. Les arbres sont décoratifs, humanisent l’espace. Les collines abondent. J’imagine que les autos manuelles sont bannies et que les freins sont bien entretenus. 

 

      Ma déambulation m’amène à Dolores Park. J’y fais une pause lecture à la chaleur enrobante du soleil, avec vue sur le relief du centre-ville, palmiers en prime. Le parc a la forme d’un amphithéâtre, rempli d’étudiants qui écoutent la ville, en cachant de la bière et des bonbons sous leurs bureaux. Des vendeurs ambulants proposent boissons et pizzas, comme à la plage.

 

      Le soir, je rejoins Sonia et son amie Danielle dans un endroit conseillé par une femme qui travaillait à mon auberge à Kona, le Bird and Beckett bookstore. Cette librairie se transforme en club de jazz le soir. Un quatuor piano, batterie, contrebasse et saxophone s’est installé sur une estrade, entourée des rayons de musique, histoire naturelle et Amérique native. Les encyclopédies me cachent un peu le batteur, mais c’est pas grave. Le public est assis sur des sièges en plastique, captivé et probablement habitué. Les musiciens, amateurs professionnels, sont présents pour partager une musique plus que pour donner un spectacle. Ils écoutent les solos de leurs collègues; chaque instrument a sa place, mis en avant l’un après l’autre ou en un ensemble homogène. J’aime la sobriété et le dévouement du jazz.

      La place sent la bibliothèque; les pages de livres tournées par maintes mains, en buvant un thé, un café ou un verre de vin. Les présentoirs de livres sont sur roulettes et ont été déplacés pour l’occasion. C’est une librairie vivante, en mouvement.

      Je suis contente d’avoir eu cette recommandation, car je ne pense pas qu’aucun guide de voyage ne parle de cet endroit magique, et c’est tant mieux. Ça lui permet de garder son authenticité, et d’en faire un vrai coup de coeur.

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SF BEAT GENRATION

SAN FRANCISCO

BEAT GENERATION

Avril 2018

      Je m’improvise une matinée Beat Generation, ce mouvement littéraire captivant des années 40s et 50s qui a vécu des temps forts à New York et San Francisco. Cette génération symbolise pour moi la liberté de choix, l’errance, l’amour des grands espaces et du jazz.

      Embarcadero, proche du quartier chinois et de ses ramens à 25 cents à l’époque, était le quartier de prédilection de Jack Kerouac et sa clique. Sur la rue Broadway se trouve le Beat museum, entre un restaurant indien et un club de danseuses aux vieilles enseignes autrefois choquantes, mais aujourd’hui vintage (souvent dessinées). Le musée est petit, mais dense en informations; des extraits de textes, photos, reliques (machines à écrire, vêtements, premières éditions…). Il y règne une aura de rébellion et de recherche d’extase paisible, de transcendance. Je n’approuve pas leur tendance à la consommation de divers substances, ou à la provocation (quoi que), mais je suis fascinée par leur liberté d’esprit et de mouvement, leur soif de découverte et leur ouverture à l’inconnu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      À quelques pas, il y a la librairie de City Lights, quartier général de la Beat Generation et de la contre-culture en général. Elle est aussi une maison d’édition, notamment du poème Howl d’Allen Ginsberg, ce qui valut à son directeur d’être arrêté pour obscénité, puis libéré suite à un procès de plusieurs semaines.

On a l’impression que d’y entrer équivaut à signer un manifeste, que les employés et clients préparent un coup d’État.

 

      La porte suivante est le café Vesuvio, où je m’arrête évidemment boire une bière et lire quelques pages, je ne veux pas insulter le fantôme de Jack, qui, j’en suis sûre, hante les lieux. Le décors est en bois, rustique mais citadin. L’éclairage est aux lampe Tiffany, aux tons jaunes et verts. On ressent les soirées de poésie suivies de débats mouvementés entre intellectuels se révoltant de l’après-guerre mondiale, puis de celle du Vietnam, de la précarité du prolétaire, les uns au bar, les autres au balcon qui fait le tour de la salle. L’orateur devait se tenir debout sur le bar, clamant son oeuvre dans une brume de cigarette et de cannabis. Les murs sont tapissés de photos en noir et blanc, de tableaux et d’affiches. 

 

 

      Le soir, je vais apporter ma tente à Sonia, qui prévoit de remonter la côte en vélo jusqu’à Seattle, ou du moins jusqu’où elle pourra. Je suis contente de l’aider à réaliser cet ambitieux et aventurier projet, et de rendre un peu à l’univers de tous les cadeaux que j’ai eu pendant ce voyage. En chemin, les adolescents de la ville sont habillés pour le bal de promo: robe longues et smoking, un air du passage à l’âge adulte et la résolution d’acquérir de la classe. Sur le chemin du retour en fin de soirée, les filles en belles robes sont en pleurs ou au Macdonald’s et les gars saouls. Vous avez des années devant vous pour devenir adultes, pressez-vous pas.

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SF HISTOIRE

SAN FRANCISCO

HISTOIRE DE LA VILLE

Avril 2018

      Il y a un mois, j’ai rencontré Andy et Melissa sur le volcan Haleakala sur l’île Maui. Ils me proposent aujourd’hui de bruncher chez eux et de me faire découvrir un peu leur ville. On commence par Mission, leur quartier. Les loyers y sont contrôlés et les habitants peuvent s’opposer à la construction d’un nouvel édifice, ce qui en fait un endroit où le monde s’implique et veut se construire un bel environnement. D’un autre côté, le nombre d’habitations y est volontairement restreint pour en augmenter la valeur. Il y règne une légère ambiance mexicaine (la principale population); il y a beaucoup de murales et la 24ème rue est très animée. Melissa m’explique pourquoi il y a tant de sans-abris à Tenderloin; la ville a un climat qui permet de vivre à l’extérieur toute l’année. D’autre part, Tenderloin contient beaucoup d’hôtels abordables pour les démunis qui se louent une chambre avec douche quand ils peuvent. La ville ne sait pas comment gérer le problème. Les chasser revient à déplacer le problème, les aider est complexe et cher…

 

      On traverse ensuite Ashbury, le coeur du célèbre Summer of Love de 1967. Là où la contre-culture hippie a explosé dans tous les sens, aussi bien vers la création d’un hôpital gratuit et d’une mentalité d’entraide, que vers la dégradation des logements due à une surpopulation soudaine et les consommations de drogues.

      On s’arrête un moment à Twin Peaks, en haut d’une des deux collines qui lui ont donné son nom. Au sommet se trouve la tour Sutro, une antenne qui domine la ville vallonnée. Andy m’explique qu’elle est le point de repère des habitants puisqu’elle se voit de partout, et que pour les locaux, elle est bien plus représentative de la ville que le pont. Avec Melissa ils s’étonnent du nombre de buildings qui a doublé depuis les cinq ans qu’ils vivent ici, et me décrivent la maquette géante que j’ai devant les yeux.

 

      On roule ensuite à travers Pacific Heights et Gold, et leurs immenses maisons, pour arriver à Lands end. Ce très grand parc, au nom sorti d’un épisode de Game of Thrones, en a aussi le paysage. Il longe la côte, passe à travers bois, et me permet de faire mes adieux au pont rouge-orange. Andy me raconte qu’il est programmeur informatique, et travaille depuis peu pour une société qui, entre autre, est sur des pistes pour soigner Alzeimer. Il a enfin l’impression de participer à l’Histoire (et la bonne me précise-t-il). Melissa est microbiologiste et contrôle la qualité de l’eau de la ville, qui, me dit-elle, est très bonne. 

 

      Une faim commune nous amène dans un restaurant mexicain, d’où ils appellent pour moi Amtrak pour être sûrs du lieu de départ de mon train demain. J’allais effectivement me tromper d’endroit… ils sont ma bonne étoile.

 

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