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CHILI

San Pedro de Atacama - Du sel et du sable

La Serena - Marché de poisson

Patagonie - L'incomparable beauté de la Patagonie

Santiago - La poésie des punaises de lit

Santiago - Lollapalooza

Santiago - Histoires populaires

Valparaiso - Un désordre en 3 dimensions

Santiago - Un petit délai douanier

SAN PEDRO DE ATACAMA

DU SEL ET DU SABLE

san pedro

Mars 2016

     Le poste frontière entre la Bolivie et le Chili se trouve dans la ville de San Pedro de Atacama. Les agents font entrer tous les passagers du bus dans une pièce où nos bagages sont passés aux rayons X, puis alignés sur le sol. On nous fait former une ligne parallèle aux sacs qui représentent tout ce que nous possédons en ce moment. Un chien tout mignon entre et fait des allées et venues le long de notre ligne. Les frontières ont cet effet que même si on a rien à se reprocher, on se demande si ce chien est capable de sentir le joint qu’on a fumé il y dix ans. Mais Milou (c’est comme ça que je l’appelle) n’a aucune réaction. Les agents le font sortir, avant de déposer une valise dégageant une brume de poudre blanche. Le chien est ramené; le public, qui est maintenant décontracté et joueur, l’encourage à chercher, et applaudit quand Milou fige soudainement, avant de se ruer sur la valise avec détermination. Bravo Milou!

    Ça fait longtemps que j’avais pas eu aussi chaud. Il faisait bon en Bolivie, mais ici on est bas, juste à 2500 mètres d’altitude et le soleil frappe. De quoi ressortir mes habits d’été qui étaient au fond de mon sac depuis un moment. 

    San Pedro est une petite ville touristique, mais sans la pression mercantile des autres villes de ce genre. Et je découvre un formidable atout par rapport au Pérou et à la Bolivie: toutes les toilettes publiques offrent papier toilette et savon pour se laver les mains! Plus besoin de traîner un rouleau et du purell sur moi en permanence ! Ça fait presque oublier les prix qui, eux, ont monté. Sauf pour la nourriture. Je retrouve la joie de cuisiner grâce à mon hôtel qui offre une cuisine, et des marchés qui proposent des fruits et légumes absolument délicieux à des prix dérisoires. On y trouve les pastèques les plus grosses que j’ai jamais vues. Sur une table, on a posé des citrouilles géantes à la peau verte à couper soi-même. Le basilique embaume toute la pièce, et des cagettes débordent de couleurs. Un vrai bonheur. 

 

    La chaleur place les activités tôt le matin ou en fin d’après-midi. C’est pour ça qu’on part pour la Valle de la Luna à 16h. Il fait encore très chaud, mais la vallée est rougeâtre et sublime. La terre est parfois recouverte d’une croûte de sel qu’on pourrait méprendre avec de la neige si le soleil n’était pas si puissant. On voit des dunes rouges à perte de vue! De ce que j’ai compris, l’océan s’étendait ici il y a bien longtemps; le sel est resté coincé dans les profondeurs et remonte petit à petit. Il y a des restes de construction de l’époque où un petit village était installé ici. Les employé étaient payés en jetons, qu’ils pouvaient échanger dans les magasins locaux. Un bon moyen de s’assurer de la fidélité de son personnel… 

    On va observer le coucher du soleil sur un plateau qui laisse voir l’ampleur du canyon. On est pas tout seuls évidemment. La plupart du monde s’assoit face au soleil, mais je préfère lui tourner le dos et regarder la vallée en face, changer de couleur du rouge au bleu, aux ombres grandissantes. 

 

    Avec Sarah on a réservé un tour pour aller observer les étoiles. La région de San Pedro de Atacama est connue pour avoir un des ciels les plus claires au monde. On est supposé venir nous chercher à notre hôtel à 23h. On est un peu excentrées de la ville, dans une rue pas très éclairée. On se positionne sous l’unique lampadaire de la rue, en n’osant pas trop faire de signe aux rares véhicules qui passent par là… On est sur le bord d’abandonner quand un minivan s’arrête et fait descendre un homme qui appelle nos noms. Youpi!

    On s’arrête dans une plaine où un chef de colo nous accueille au milieu de quatre télescopes. Il nous explique avec passion les constellations qui se déploient au-dessus de nos têtes, comme la croix du sud, qui permet de suivre ledit sud. J’arrive à voir un chasseur avec son arc, un taureau et autres forment que notre professeur montre avec son laser si puissant qu’il rendrait jaloux un jedi. Pendant le repositionnement des télescopes, il nous sert du bon vin chilien pour nous faire patienter. Il nous explique la vie des étoiles, leur éloignement, il arrive même à nous montrer d’autres galaxies. Vers 1h du matin, la Lune se lève et c’est vers elle que les grosses lunettes sont tournées, pour décrire avec précision ses cratères. Je commence à comprendre un peu Jim Lovell et Neil Armstrong. Cette boule blanche incomplète a l’air de cacher un secret, d’être toute douce et bien vivante en même temps.

 

    Le lendemain, on change de paysage en allant vers des sources d’eau naturelles. La première est le Cejar Lagoon, qui est composée de sel à 20%, ce qui est vraiment beaucoup. On y flotte sans effort, en essayant de ne pas se mettre d’eau dans les yeux. On peut s’allonger, se mettre debout, s’asseoir, comme des astronautes en apesanteur. Je suis contente de ne pas avoir de coupures ou d’irritation! 

    Évidemment, ce qui devait arriver arriva, je m’éclabousse les yeux. Impossible d’en rouvrir un qui refuse de se laisser attaquer par cet épice trop concentrée. J’essaie de rejoindre la rive pour aller me rincer, mais le problème avec cette eau qui fait flotter les corps, est qu’il est très difficile d’y nager. Mes jambes ne veulent rien savoir à s’enfoncer assez pour me donner de l’impulsion. J’ai vraiment l’air d’un gros chien qui se retrouve dans l’eau pour la première fois. Finalement, la façon la plus efficace d’avancer est à reculons, sur le dos, en brassant la surface avec mes bras. En séchant, le sel forme une croûte sur la peau et rend les cheveux blancs. Ça gratte.

    De retour à l’hôtel, on se dépêche de prendre une douche avant que l’eau ne soit coupée pour la nuit. Il y a en a très peu dans la région, et il faut l’utiliser intelligemment. 

     Notre dernière activité est le sandboarding, du surf sur du sable. George, notre instructeur, nous fournit bottes, planches, et casques avant de partir pour la Vallée de la Mort. J’avais hâte de découvrir la différence entre le surf et le ski, mon partenaire de glisse habituel (sur la neige on s’entend). Mais avant toute chose, le plus gros défi est de monter la dune de sable. ll est tôt le matin, mais le soleil est déjà bien réveillé. On fait la file indienne dans cette côte au sol mouvant, profitant des empreinte laissées par notre prédécesseur. Une fois sur la crête, George nous donne quelques conseils. 

       Le sable est beaucoup plus adhérent que le neige. C’était à s’en douter, mais le vivre est autre chose. C’est difficile de prendre de la vitesse. Mais comme ça fait beaucoup moins mal de tomber que je le pensais, il est facile de se lancer et d’essayer des pirouettes en toute sécurité. C’est drôle de glisser hors contexte. Pour moi, la glisse était jusque là associée à la neige, voire à l’eau, mais pas au sable!

      Avant chaque remontée. George nous oblige à profiter de l’ombre du bus, à boire de l’eau, et à se retartiner de crème solaire. Tu as raison George, grimper cette dune encore et encore est de loin la partie la plus difficile de l’activité, et elle se fait d’un pas de plus en plus lent. 

      Quand le soleil devient trop chaud, c’est les poches pleines de sable qu’on remonte dans le bus, fatigués mais comblés.

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LA SERENA

MARCHÉ DE POISSON

Mars 2016

      La Serena semblait une bonne étape entre San Pedro de Atacama et la Patagonie. Au bord de l’océan, on s’imaginait s’allonger sur la plage et profiter des vagues. Le premier choc en arrivant a été la ressemblance avec l’Amérique du Nord; de grands supermarchés, un cinéma multiplex, du confort. C’est assez agréable après plus d’un mois de baroudage, et en même temp dérangeant. C’est pas très à l’image de ce que je cherche en voyage, et ce n’est pas très gentil de me confronter à tant de magasins de beau linge quand je porte les 5 mêmes tee shirts depuis des semaines. Mon sac et mon compte en banque n’acceptent pas d'excédent de toute façon.

      En plus, l’océan est en colère. Quand je me renseigne pour prendre un cours de surf, le préposé m’informe avec un petit rire que c’est trop dangereux pour une débutante, et que la situation ne va pas s’arranger dans les prochains jours. Alors on s’inscrit à une visite des vignobles des environs, qui se révèle être une journée de bus avec des arrêts de temps en temps, sans trop d’explication, et dégustation de Pisco.

 

      Notre envie d’exploration nous fait prendre le bus pour la ville portuaire voisine, Coquimbo. N’étant pas sûre de où on doit descendre, j’essaie demander mon chemin. Une madame nous prend en sympathie, et nous dit de descendre en même temps qu’elle et son groupe. À l’arrêt, ils nous indiquent où sont le port et les attraits de la ville.

      On commence par le marché de poisson, au bord de l’eau. Il y en a à perte de vue, et l’odeur capture le nez sans délicatesse. On croise nos amis, qui nous mettent en garde contre les pickpockets, nous conseillent des restaurants et nous informent des prix “normaux”. On déambule dans les allées marines et gigotantes, avant de faire halte dans un restaurant où nous retrouvons, encore une fois, nos amis. C’est petit Coquimbo. 

      Je veux essayer un ceviche, mais la madame me conseille fortement le plat du jour. Elle nous explique nos choix, comme une vraie mère poule; et il est toujours de bon augure de suivre les conseils d’une mère poule. Je me retrouve donc avec un empanadas au fromage, et un poisson dont je n’ai pas compris le nom, pané, avec une salade. Un vrai délice. À la fin du repas, le mari de la madame parle à la serveuse pour être sûr qu’on ne nous applique pas le tarif gringos. Des amis comme ça, ça embellit un voyage.

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L'INCOMPARABLE BEAUTÉ DE LA PATAGONIE

Mars 2016

      Le chapitre sur la Patagonie m’avait fait rêvé. Je l’ai parcouru dans mon guide avant d’entreprendre ce voyage; mais avec un peu de recul, car ça me paraissait une bien trop grande entreprise à faire toute seule. La rencontre avec Sarah au Colcà Canyon a tout renversé. Elle hésitait (problème dont seuls les baroudeurs comprennent la difficulté) entre aller visiter la Patagonie ou l’Amazonie. Le temps et l’argent ne lui permettant pas de faire les deux. Après avoir laissé l’idée mûrir dans ma tête (ça me faisait moi aussi changer des plans et des dépenses), je lui ai dit que si elle allait en Patagonie, je la suivrais. Mais-en que je veux aller visiter ces plaines sans fin qui ont hébergé Butch Cassidy dans sa cavale, et Florent Pagny en recherche d’inspiration! 

      C’est comme ça qu’on s’est retrouvées lors d’une journée de référendum politique à La Paz, à s’acheter des billets d’avion pour Punta Arenas et à se documenter sur Torres Del Plaine et sa fameuse randonnée, le W.

 

      J’ai l’impression de tricher en prenant l’avion, mais ces trois heures de vols entre Santiago et le sud nous font gagner beaucoup de temps. La fraîcheur enrobante en sortant de l’appareil confirme que l’Antarctique n’est pas très loin. Son magnétisme s’empare de nos corps, comme une boussole qui serait attirée par le Sud. 

      Au matin, une meute de chiens errants en manque d’affection nous suivent jusqu’au bus qui nous amène à Puerto Natales, la salle des machines du W. Cette ville de far west semble avoir été créée comme piste de départ et aire de repos post randonnée. On y dort, mange, trouve le matériel qui nous manque et fait notre lessive au retour. Elle est un système digestif d’expérience de plein air fantastique.

 

 

PREPARATION

 

      À notre arrivée on va directement au Erratic Rock, qui offre chaque jour une séance d’information sur le W, et le Q, le version plus longue. Notre narrateur est Sammy, un américain ayant l’air d’être sorti du bois juste pour nous raconter ses histoires extraordinaires de trappeur, et nous préparer mentalement au climat particulier de la région, aux légumes lyophilisés, et à la beauté qui nous attend. À la seconde où il nous souhaite une bonne marche, la ville se transforme en une fourmilière de gringos agités qui courent comme des poules pas de tête.

      Etape numéro un: il faut se rendre à différents endroits de la ville pour réserver des emplacements de tente aux places dédiées sur le chemin.

      Etape numéro deux: louer du matériel. Évidemment on ne trouve ni la plus légère ni la plus compacte des tentes, mais on prend ce qu’il y a. Sac de couchage qui a probablement pas été lavé depuis le dernier utilisateur, tapis de sol qui date de mon enfance, et bâtons de rando, parce qu’on a plus vingt ans. De quoi cuisiner, manger… J’avais rien prévu de tout ça en faisant mon sac à Montréal.

      Étape numéro trois: de la nourriture pour tenir six jours, en faisant des calculs de jours/calories/pratique à cuisiner/comment je vais porter tout ça ? Cinq déjeuners, cinq soupers, six lunchs. Pour les déjeuners, un bon sac de flocons d’avoine, avec un plaque de chocolat pour lui donner un petit goût exotique. Des  crêpes de fajitas et du fromage pour les lunch, des pâtes et des sachets de soupes qui serviront de sauce pour les soupers. Pas de la grande gastronomie, mais du léger et de la durabilité sur six jours. Évidemment, j’acquiers aussi des noix et chocolats pour redonner du courage dans les moments de doute.

      Heureusement, le parc promet une multitude de sources d’eau, dont Sammy nous a promis une pureté sans pareil. Un petite bouteille suffit pour se ressourcer pleinement.

 

      Le soir, notre dortoir est actif. Chacun essaie de faire rentrer tout sons matériel dans son sac. Sammy nous a vivement recommandé de tout enfermer dans des sacs plastique. Le vent et la pluie sont joueurs dans la région, et un simple surcac ne suffit pas. À minuit et demi, mon bagage ferme à peine, mais mes yeux complètement.

 

 

JOUR 1: VERS LE GLACIER GREY

 

      Réveil à 6h10. Mon sac pèse une tonne! Je profite d’un dernier déjeuner copieux, et hop, dans le bus. On est excitées et angoissées en même temps.

      L’entrée du parc est une organisation un peu floue, comme je commence à en avoir l’habitude. On nous fait signer de papiers, regarder des vidéos sur la faune et la flore, personne ne sait où aller. Nos jambes nous démangent. 

      Mes premiers pas ne sont pas très convaincants. Le vent est si fort que je recule plus que je n’avance. Je m’arrête assez vite pour changer mon tapis de sol de place, pour être moins épaisse face à Éole. On nous fait monter sur un gros catamaran, qui traverse le lac Pehoé dans une croisière frigorifiante mais sublime. Le lac est d’un bleu que je ne connaissais pas encore, trouble et hypnotisant. 

      Enfin, nous commençons à marcher. Je suis en extase, à ma place, rien de peux m’arrêter… sauf le vent. Il est si fort qu’il nous fait tomber quelques fois, moi et ma coquille plus grande que moi. Je n’ai pas peur, je n’ai pas peur… Sammy nous a promis qu’après trois jours, j’arrêterai de détester mon sac à dos. Gardons la foi.

      Dans la vallée, mon corps prend peu à peu ses marques. Le paysage est très particulier; un sans-génie a décidé de se faire un barbecue sauvage il y a quelques années, causant un incendie qui a ravagé quarante pour cent de la forêt. Résultat, une terre qui a laissé repousser son herbe est trouée d’arbres zombis cendrés, tous courbés dans la même direction. Malgré l’horreur de la situation, on ne peut s’empêcher d’observer la beauté de ce cimetière forestier, dérangé parfois par des tornades de poussière ou des trombes d’eau.

      On marche onze kilomètres en quatre heures, pour arriver au glacier Grey, cette énorme coulée de glace qui échappe des mini icebergs bleu barbe à papa. Après avoir monté nos tentes, on va s’asseoir au bord du lac, et on observe la grosse langue blanche. Parfois, un bout de glace se détache dans un grand fracas sec et assourdissant. J’effleure un bloc de glace qui s’approche de la rive, et ai l’impression de toucher le coeur de la planète.

      La cuisine du camping est un capharnaüm. On est tous avec nos petits réchauds à essayer de cuisiner dans nos petites casseroles. C’est drôle à voir. Certains utilisent les poubelles, mais on préfère garder nos déchets avec nous, pour faire plaisir à Sammy. Il n’y a pas de route ici; les poubelles sont ramenées en ville à dos d’homme. Et porter les rebuts des autres, c’est pas très plaisant. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 2: VERS PASO

 

       La nuit a été glaciale. Au cours de la nuit, j’ai petit à petit mis tous les vêtements de mon sac, toutes les paires de bas, mis mon livre, carnet de voyage et guide sous mon matelas pour faire isolation. J’ai découvert que de mettre ma doudoune entre mon corps et le sol, plutôt que de la porter, était plus efficace. J’ai passé la nuit à frissonner et cours vers la cuisine dans les premiers rayons de soleil. Du givre recouvre le sol et je désespère pour les prochaines nuits. 

      Un bon bol de flocons d’avoine agrémenté de chocolat fondu me réchauffe le corps et le morale. Le plan de la journée est de dévier du trajet du W. On laisse nos gros sac pas de bon sens au camping, et on va faire une partie du Q (ces deux noms succincts ont été attribués aux treks de par leurs formes. Le Q comprend le W, et rejoint les bouts de la lettre; plus s’ajoute une petite marche à la place du trajet en catamaran pour former la queue). 

      On marche dix kilomètres direction nord, vers le camping Paso. Légères comme l’air, on se rend compte de la grandeur de ce glacier de 6 kilomètres (il en faisait 28 en 1996...). De la glace ondulée aussi loin que nos yeux peuvent voir. On entend parfois un morceau se détacher dans un bruit de tonnerre. On passe par des ponts suspendus qu’on imagine effrayants par grand vent. On est chanceuses aujourd’hui, il fait beau et bon, maintenant que le soleil est levé. 

      Une fois arrivées au camping, bien plus vite qu’on ne le pensait, on fait demi-tour, en s’arrêtant aux mêmes points de vue qu’à l'aller, parce que c’est trop beau.

      Belle surprise, les toilettes de notre camping sont brisées, il faut utiliser celles du gros chalet d’à côté, qui se retrouve envahi par des campeurs crottés. Ça fait un peu mal de traverser ce beau refuge chauffé, avec restaurant et bar où le monde se repose au coin du feu en short et gougounes, un verre de vin à la main. Mais j’aime profiter du coeur et de l’âme de la Plaine, jour et nuit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 3: VERS LE CAMPING ITALIANO

 

      La température a été beaucoup plus clémente que la nuit précédente, j’ai même trop dormi! Je prends casserole et flocons d’avoine et me hâte vers la cuisine. Dans mon empressement et mon émerveillement du paysage, je manque de voir une corde tendue et fais un remarquable roulé boulé en envoyant tout mon bardas dans les airs. Je ne me fais pas mal, mais ne me sens pas à mon meilleur quand un couple sort de la tente fautive pour comprendre ce qui a fait secouer leur igloo. 

      Sarah aime prendre son temps, et je ne suis pas très patiente quand la montagne m’appelle, alors je pars avant elle. J’apprends que c’est ce que je préfère, marcher seule sur ce chemin désertique pourtant arpenté des milliers de fois par d’autres. L’air et le paysage facilitent la réflexion et le ménage de la tête. Sarah finit par me rattraper, et nous parcourons les onze kilomètres qui nous ramènent à Plaine Grande, où le catamaran nous a déposé deux jours plus tôt. Le vent est de plus en plus fort, mais il fait bon et la sensation est plaisante. On profite du refuge pour manger au calme et boire un bon thé, avant de repartir pour un sept kilomètre vers le camping Italiano.

      Le panorama est fabuleux; un mélange de prairies vertes, d’arbres calcinés penchés à l’unisson, et de montagnes aux roches multicolores qui accrochent les nuages. Il pleut quelques gouttes de temps en temps, mais rien d’alarmant. Enfin c’est ce qu’on se dit un peu avant l’arrivée d’une lourde pluie glacée. Le gortex de nos vêtements et souliers abandonnent vite et le chemin se transforme en ruisseau; voici le fameux temps changeant de la Patagonie. 

      On arrive congelées au campement. On doit signer un registre, mais nos mains ne sont capable de produire qu’une écriture d’enfant de six ans. On monte notre tente aussi vite que possible et plaçons nos sacs à l’abris. Quittes à être trempées, on va utiliser les toilettes à cinquante mètre du campement, et on prend nos tasse pour aller chercher de l’eau chaude promise à notre enregistrement. Belle surprise, le tenancier nous propose une soupe de tomate bien chaude en option. Oh que oui!

      Une fois au sec, on se change et on plonge dans nos sacs de couchage. Notre tente ressemble vite à un étendoir à linge, tentant de sécher un peu notre unique tenue de marche. Deux heures plus tard, la pluie bat encore son plein. On essaie de se convaincre d’aller au semi-refuge, c’est à dire un construction de trois murs avec un toit, qui sert de cuisine pour se faire à souper; mais remettre nos vêtements mouillés, ou compromettre les secs pour aller chercher de l’eau à la rivière, semble insurmontable. On se décide pour prendre dans nos réserves de lunch froid et mangeons dans notre tente, qui prend un peu l’eau...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 4: VERS LOS CUERNOS

 

      Il fait grand soleil au petit matin et le sol est presque sec. Ça fait un peu oublier la nuit froide et humide. Avant de partir, je prends une grande respiration et trouve mon zen intérieur pour enfiler mes vêtements et souliers glacés et encore bien trempés. Tout le monde au campement rencontre la même épreuve, et un à un, on laisse nos valises pour monter au point de vue Britanico, la pointe du milieu du W. Mes vêtements sèchent vite dans la douceur et la brise matinale. Les montées ardues alternent avec les plateaux venteux. Le sommet est un rocher qui offre un panorama sur la magnifique vallée Francés. Le vent est tellement fort qu’on doit se tenir à la pierre, et faire attention à ce qu’on pose par terre. Je n’ai pas très chaud et il commence à y avoir foule, alors je me résigne à descendre vers le campement, jusqu’à ce que je trouve un tout petit coin un peu à l’abri du vent et avec une toute aussi belle vue. Me vient la meilleur idée que je vais avoir de toute ma vie. Je retire mes souliers encore détrempés, les ouvre et y place un pierre dans chacun pour les maintenir au plancher. En vingt minutes, l’air vigoureux patagonien les sèche et la vie redevient merveilleuse.

      De retour en bas, le soleil est agréable et rend l’endroit très jolie, pas du tout comme la vision que j’en ai eu en arrivant hier après-midi sous la pluie. Sarah me rejoint pendant que je range mes affaires, et on part ensemble vers Los Cuernos, à trois heures d’ici. On croise régulièrement nos nouveaux amis, selon les pauses de chacun. Il y Shane, de Londres, Ben de Melbourne et David de Quito. Le chemin nous montre une belle vue sur le lac Nordenskjöld, d’un bleu profond. Les rafales créent des gerbes et trombes d’eau, qui deviennent des nuages d’arc en ciel en s’envolant. Ça y est, on arrive au royaume des bisounours.

      Une plage de galets devient un rassemblement de trempage de pieds. Les miens ne sont pas très beaux à voir, entre l’effort et l’humidité, et l’eau fraîche leur fait du bien. Je ne suis pas la seule à apprécier ce bain réparateur.

 

      À l’arrivée au campement, toutes les filles se pressent de monter leurs tentes et font une ligne devant les douches qu’on a pas vues depuis trois jours, alors que les gars disent qu’ils sont juste à deux jours de la ville, à quoi bon. Moi, je me sens humaine à nouveau!

      Les espaces pour les tentes sont sur des plateformes sur pilotis, permettant une meilleure isolation du sol constamment froid. L’endroit est très agréable et avec mon nouveau groupe, on s’offre un verre à la terrasse du chalet d’à côté, en regardant le lac et les montagnes.

      Après mes marches en solitaires, mes moments préférés sont les temps dans les salle à manger, où l’esprit de communauté de ce trek me comble. Les campements sur le chemin se remplissent le soir et c’est ensemble qu’on cuisine sur nos mini-réchauds, qu’on compare nos impressions, que les vrais randonneurs donnent des conseils aux novices et qu’on se partage cette sensation de vivre l’extraordinaire. Puis on retourne chacun sous nos toiles, sous le ciel étoilé d’antarctique et le son de tonnerre des blocs de glace qui se détachent du glacier.

 

 

JOUR 5: VERS  TORRES

 

      Les montagnes rougissent au soleil levant, ça débute bien la journée. On se fait vite rejoindre par Shane, et ensemble on trouve un bon rythme. C’est une journée sans vent; c’est très étrange, et même trop chaud. À notre pause lunch, on se fait rejoindre par les gars. Une vraie promenade de colonie de vacances, avec des rires, des silences, des découvertes. Le refuge Chileno permet une pause soda, avant de commencer la bonne montée qui donne moins envie de parler. Je suis contente d’en être au cinquième jour et d’avoir mangé une bonne partie de mon sac. 

      Le campement Torres est un peu comme la forêt des sept nains de Blanche-Neige. Un semi refuge sert de cuisine, un petit cours d’eau souligne le relief et sert de robinet en haut, et de lave vaisselle en bas. Les oiseaux chantent, le soleil perce quelques trous dans la canopé, un vrai conte de fée. Et comme on est un peu en avance sur le temps qu’on pensait mettre à arriver, on en redemande. L’incontournable du W est d’aller aux tours (3 rochers en pointes, à une heure de là) au lever de soleil, et d’espérer les voir aspergées d’un rouge flamme; mais il y a des chances de pluie demain, alors on pousse encore un peu pour y aller maintenant. Tout le vent qu’on a pas eu de la journée, c’est parce qu’il était concentré ici. On avait pas prévu ça. Ne jamais baisser sa garde en Patagonie. C’est pas grave. On reste pas longtemps mais ça valait le coup. À demain les tours.

       Un dernier souper sous les étoiles et au lit, demain commence bientôt.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 6: RETOUR EN VILLE

 

       C’est difficile de ne pas trop se couvrir avant d’attaquer la montée, mais il faut avoir confiance qu’on va se réchauffer. Le chemin ressemble à une route de mineurs, avec plein de petites lumières évoluant dans le noir. Ma frontale rend l’âme à mi-chemin et je suis de près la personne devant moi, car la trajectoire ressemble parfois plus à de l’escalade qu’à de la marche. Une fois en haut, on sort nos tapis, sacs de couchage et thermos, et on attend. 

     Bon, les tours ne s’illumineront jamais comme on peut le voir sur les cartes postales, mais elles alternent entre des tons de roses et de jaunes selon les nuages, et c’est déjà bien impressionnant. On doit être presque une centaine, recroquevillés dans nos duvets, à écouter la Nature.

Quand le soleil est tout à fait levé, il a bien sûr amené avec lui son bon copain joufflu, qui nous joue des tours quand vient le temps de ranger nos tapis. Des sacs de plastique volent de partout et des avalanches de pierres tombent dans le lac. Une apocalypse bon enfant.

On retourne prendre un déjeuner au campement et ranger nos affaires. On est à trois heures de marche de la fin, mais pas des plus faciles. Les bourrasques sont tellement fortes que l’une d’elle fait rouler mon sac pourtant pas léger, que j’avais posé le temps de boire une gorgée d’eau. Je dois même me tenir à des rochers pour ne pas tomber, ce qui arrive pourtant quelquefois. Peut-être le parc est-il triste de nous voir partir. Ça doit le divertir grandement de nous voir essayer de tenir debout et de nous émerveiller devant chaque variation de couleur.

      On arrive malgré tout à l’hôtel Torres, où on prendra une navette pour retourner à Puerto Natales. Juste le temps de s’installer dans cet immense hall qui sert de bar-restaurant, habité à moitié par des randonneurs de luxe, à moitié par des campeurs sales, heureux, fatigués, pompettes après une bière bien méritée. On se raconte nos anecdotes de trek, comme si c’était il y a longtemps déjà. Nos problèmes de réchauds, de montage de tente, de pluie, de vent, d’odeur de pieds, d’ampoules…

Dans la navette, je sors mon fidèle ipod, que je n’ai pas vu depuis six jours, et il donne une trame sonore à tout ce paysage qui défile une dernière fois, tandis que je lutte de toutes mes forces pour ne pas sombrer dans le sommeil. Trop tard.

 

      De retour en ville, on se rend compte soudainement de notre état d’hygiène et de l’odeur qu’on doit probablement émaner. Dans notre dortoir, nos colocataires nous demandent timidement si elle peuvent ouvrir la fenêtre. Vas-y fort, grande. Et t’inquiète pas, encore deux trois choses à faire et je remédie à la situation. D’abord, retour du matériel loué, avec un petit rabais parce que, tsé, ta tente prend l’eau. Ensuite, réorganisation de mon sac avec ce que j’avais laissé à l’auberge, liquidation avec joie des sacs qui recouvraient les sacs pour essayer de résister à la pluie, puis, finalement, une bonne et longue douche. L’eau a du mal à se décider entre la brûlure et la glaciation. Vas-y, mets moi au défi, même pas peur.

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Santiago-punaises

SANTIAGO

LA POÉSIE DES PUNAISES DE LIT

Mars 2016

      Sarah, ma partenaire de voyage rencontrée au Pérou, n’aime pas beaucoup les grandes villes. Elle vit à Jasper, dans l’éden des Rocheuses, et est beaucoup plus à l’aise sur un chemin de crête que dans les couloirs du métro, pourtant propres et spacieux à Santiago. C’est avec méfiance qu’elle me suit de l’aéroport à l’auberge. On ne va y rester que deux nuits, parce que Sarah m’a convaincu de louer un appartement plus près du site du festival Lollapalooza où nous allons en fin de semaine. Elle ne veut pas avoir trop à se déplacer de nuit, et pouvoir bien dormir après avoir trop bu (ça promet).

 

      Dans la nuit, je sens que Sarah se lève souvent; mais c’est vrai qu’elle a bien fêté dans la soirée, alors j’y vois rien d’inquiétant. Je finis par aller la voir et la trouve en transe dans la salle de bain, m’expliquant qu’il y a des punaises de lit sur son matelas. J’espère très fort que c’est sa belle tendance à l’exagération qui la fait parler, jusqu’à ce qu’elle me montre son lit et, oui, il y a des ces grosses bestioles à grandeur. On n’en voit pas sur le mien, mais je prends pas de chance. Il est 4h du matin, on s’installe sur les fauteuils inconfortables du soi-disant salon. C’est interminable ! Sarah a des sueurs froides en googlant nos nouveaux compagnons de cellule (“chinche” en espagnol), pendant que j’essaie de dormir, sans succès.

      À 7h, on entend du bruit dans la réception. La pauvre femme ne sait pas trop quoi faire, et nous donne les clés d’une autre chambre en attendant que la gérante arrive à 10h. 

      10h, bonjour madame. On commence à peine notre histoire qu’elle nous crie dessus. C’est pas possible, l’auberge a été désinfectée il y a deux jours. Et si c’est vrai, c’est sûrement de notre faute. On doit venir de Valparaiso, et tout le monde ramène des punaises de là-bas. Non madame, on arrive de Patagonie, où les punaises n’aiment pas trop la température, et oui c’est vrai, regardez la preuve, dit Sarah en lui tendant un spécimen capturé. La manager ouvre grand les yeux et cache tout de suite le coupable du regard des autres pensionnaires. C’est de votre faute! Non! Si! Non! Si! Non!... Après dix minutes à les entendre exposer leurs subtiles arguments, mes huit heures de sommeil en deux jours mettent leurs grands sabots et entrent dans la conversation. Peu importe la provenance, que faisons nous maintenant!? La manager propose de pulvériser nos sacs d’un produit, biologique j’en suis sûre, et de les laisser reposer vingt-quatre heures. Sarah propose de tout jeter, mais pour moi c’est hors de question. Le sac en lui-même vaut une belle somme, plus racheter des habits? Tout ça sans compensation de l’auberge? Non. Je m’habille du linge le plus au fond de mon sac en espérant au mieux, et Sarah va acheter une nouvelle tenue, puis on laisse tout à la décontamination.

      On a réservé pour deux nuits, mais on s’entend pour aller ailleurs, sans prévenir la gérante au cas où ça la démotiverait à s’occuper de nos affaires. Direction la Casa Roja, où des amis logent. La réception s’étonne de nous voir arriver sans sacs, mais on évite le sujet; on veut pas se faire refouler. Je prends un temps de repos dans le magnifique salon. Je ne sais pas quoi faire, suis fatiguée, et ne suis pas vraiment en état de réfléchir. Je me dis que si je me lève, mes pieds vont bien me guider quelque part. J’essaie de me rappeler où est la sortie, quand je croise Ben, un des randonneurs du W. Je lui explique mes aventures, probablement toutes décousues. Il entreprend de me divertir et de me faire découvrir la ville, armé de son guide, puisque lui-même vient d’arriver à Santiago.

      On commence par prendre le téléphérique, qui nous amène dans les hauteurs d’une colline surplombée par une grande statue de Marie. Le smog est tellement fort qu’on voit à peine la ville et qu’on devine les montagnes au fond. On nous dit qu’on est dans une bonne période claire… Puis on entre incognito dans l’université de droit, où on observe les étudiants chiliens et leur inventons des vies. Belle manière de se changer les idées.

 

      Grosse journée à venir. D’abord, on doit récupérer nos affaires dans la première auberge. On veut apporter notre linge dans une laverie (double sécurité), mais pas le temps, parce qu’on doit retrouver une certaine Veronica à une station de métro, qui doit nous donner les clés pour la chambre qu’on a réservée près du festival. Déjà ça paraît louche. Ça fait des jours qu’elle envoie des message en espagnol à Sarah et qu’on comprend pas grand chose, à part qu’elle veut qu’on paie d’avance, ce qui n’est pas supposé arriver. On n’arrive pas à la trouver à la station de métro, alors on prend le temps d’aller apporter notre linge à la laverie, qui accepte même mon sac. Ça va lui faire du bien.

      Nouveau mail. Rendez-vous à une certaine adresse, dans une heure. D’après Sarah, c’est pas loin, ça se marche. Mais après vingt minutes à trimballer tout ce qui n’entrait pas en machine dans des sacs poubelles à bout de bras, je me rend compte que c’était une affaire de deux stations de métro, bien trop effrayant pour Sarah la rurale. On arrive finalement dans le hall d’un immeuble de luxe, avec nos sacs de sans-abris. La confusion est grande dans le regard du commis à la réception. Il finit par appeler quelqu’un, la fameuse Veronica. On ne sait pas comment lui faire comprendre qu’on ne parle pas espagnol. Après un certain temps et beaucoup de gestes, on suppose que son mari va venir nous rejoindre dans trente minutes pour nous amener à l’appartement. J’en profite pour aller faire une course. Quand je reviens vingt minutes plus tard, le mari est déjà là, pas content de m’avoir attendu. Vraiment?

      Et on marche un autre vingt minutes avec nos sacs poubelle. Mes bras et mes nerfs lâchent. Il nous refait attendre dans un hall d’appartement bien trop chic. Ça va faire. S’ensuit un long discours de sourd entre moi et le mari, jusqu’à ce qu’un bon samaritain, un montréalais polyglotte, se propose de traduire. Voilà ce qu’il s’est passé: Veronica voulait qu’on paie d’avance. Comme on ne l’a pas fait, elle a donné l’appartement initial à quelqu’un d’autre. Mais comme elle est gentille, elle nous en propose un autre, sauf qu’il est plus cher, et loin du festival. Bien que la ville se remplisse pour l’événement, j’en ai assez de Vero et de son mari, et ai envie de prendre le risque de partir et que tout soit complet. Sarah, surtout par peur de se retrouver toute seule dans cette galère, se range de mon côté. Alors on s’en retourne, toujours avec nos sacs poubelles, moi à bout et Sarah en panique. Par chance la Casa Roja a encore des lits de disponibles. Finis les déménagements!

      Un peu plus tard, on va récupérer nos affaires à la laverie, et je peux, enfin, me changer. On profite de la convivialité de l’endroit pendant que Sarah raconte, à qui veut l’entendre, comment elle a failli mourir, attaquée par des punaises de lit.

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SANTIAGO

LOLLAPALOOZA

Mars 2016

      On m’a parlé il y a quelques semaines du festival Lollapalooza à Santiago. Ce nom résonne comme une formidable aventure musicale que j’avais mise dans un coin de ma tête dans la section peut-être un jour. Je ne savais même pas qu’il y avait une session au Chili. 

      La ville se remplit de jeunes adultes en demande de dandinement aux rythmes de notes bien agencées. On retrouve dans notre auberge Kathy et Kelsy, deux américaines début vingtaine rencontrées en Patagonie. On observe le programme prometteur avec attention. Chacun se fait une liste de concerts à ne pas rater et d’autres à découvrir. Tout ça dans une ambiance décontractée, jusqu’à ce qu’une annonce tragique accable mes camarades telle un couperet menaçant. L’événement fera partie de cette nouvelle tendance, monstrueuse pour certains, ce sera un festival sec; c’est-à-dire qu’aucun alcool ne sera vendu ni toléré. Ma trentaine vintage se dit, ok, une bonne bière de débriefing sera appréciée en rentrant à l’auberge. Mes jeunes camarades modernes n’acceptent pas cette autorité sauvage, et y voient une occasion de braver le système. Dans leur totale incompréhension, je ne participe à l’élaboration de leurs stratagèmes pour faire entrer de l’alcool sur le site (de la vodka dans des ziplocks, cachés dans leurs sous-vêtements). Pire, je me cuisine des bons légumes avant de partir pour le festival en après-midi, pour être en forme jusqu’au soir. Mais pourtant, l’alcool rentre mieux si tu es à jeun…! Je commence à réaliser que toutes les histoires racontées par ce beau petit monde comporte un abus de boisson, et eux réalisent que je suis assez ennuyeuse. Qu’à cela ne tienne.

 

      On part tout de même tous ensemble, excités par la journée qui nous attend. On arrive vers la fin du spectacle de Eagle of Death Metal. Ça fait quelque chose d’être devant le groupe qui jouait au Bataclan à Paris, le soir de la fusillade. Ils finissent leur prestation en disant que ça leur fait du bien de remonter sur scène après un bon moment d’absence, et que c’est important de ne pas renoncer. Leur expérience fait relativiser bien des choses et confirme le pouvoir de la musique.

      C’est pour ça que je délaisse mes compagnons, qui ont vite fait d’exprimer leurs revendications anarchiques en engloutissant le continu de leurs sacs surprises dès leurs premiers pas sur le site. Je veux profiter de ma journée. On se donne un rendez-vous pour plus tard avec Sarah, et on se souhaite bien du plaisir. 

      Du bonheur auditif: Albert Hammond Junior et son élégante sobriété, Jungle et sa fièvre exotique contagieuse (une bonne fièvre), puis Of Monsters and Men, qui donne toujours envie d’être curieux sur tout. L’ambiance est bonne. Chaotique, mais bonne. Il fait beau, chaud, et on a tous envie de passer un bon moment.

      J’attends Sarah au lieu convenu, mais ça a l’air qu’elle m’a oubliée. Je pense à continuer ma journée quand je la vois arriver, titubant comme une girafe née il y a à peine une heure et qui ne maîtrise pas encore ses jambes. Notre rencontre semble être un grand hasard finalement. Je ne comprends pas bien son histoire, mais en gros elle a perdu les autres, n’a plus de vodka, et cette dernière constatation la rend bien triste. Je l’aide à se rendre aux toilettes bleues (qui sont très régulièrement vidées et nettoyées, rendant l’expérience beaucoup moins dramatique que dans bien d’autres rassemblements). Puis nous allons voir Tame Impala et toute sa belle féérie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Après toutes ces aventures, on a mérité de s’asseoir un peu. Il y a un creux dans mon horaire musicale, et ça fait du bien de se mettre un peu à l’écart. En plus, le festival offre un beau visuel à côté des scènes. Il y a des toboggans servant de langues à une énorme tête en papier mâché, des stands de posters, tee shirts, des tourelles pour avoir une vue d’ensemble, c’est magnifique. Sarah réalise qu’une heure complète échappe à sa mémoire, et qu’elle correspond au spectacle de Of Monsters and Men, dont elle me parle depuis trois semaines. Pas de chance. Mais en même temps, quand elle redevient sobre et trouve cet état désuet et hors propos, elle regrette d’avoir la brassière sèche (à comprendre, elle n’a plus de vodka cachée).

      Elle m’emmène dans la foule qui se prépare pour le dernier concert: Eminem. Le spectacle ne commence pas avant trente minutes et je me sens déjà claustrophobe. Le brassage est intense. Il y a constamment quelqu’un qui veut être devant toi et n’a pas peur d’y parvenir. J’abdique et vais au fond, avec les frileux. Je ne sais pas si je vais rester jusqu’à la fin, mais si oui, c’est là que je serai. À se rappeler que Sarah a très peur des grandes villes et ne tient pas à rentrer toute seule dans la nuit, mais là, soit forte fille. Elle me laisse aller.

      Je n’aime pas tant la musique d’Eminem, mais à mon grand étonnement, j’apprécie beaucoup le spectacle. Il a plein d’énergie et les vidéos projetées dans le fond sont magnifiques. Sans m’en rendre compte, je reste jusqu’à la fin. Bonus, je suis dans une zone de wifi gratuit qui me permet d’étudier le chemin de retour. Je n’ai pas très envie de reprendre le métro avec deux cent mille personnes, surtout que je n’ai pas préacheté de billet. Mais oh surprise, mon auberge est à trente minutes à pied, tout droit! Ça va faire du bien de marcher après avoir piétiné toute la journée.

      À l’avant dernière note, je vois Sarah débarquer, soulagée de me voir encore là. Soulagement qui se teinte d’angoisse quand je lui annonce mon projet de marcher, dans la nuit noire de cette ville inconnue. L’option du métro en solo la tente encore moins, alors elle me suit. Comme on est pas les seules à avoir voulu éviter l’étouffement souterrain, on est une belle foule à marcher dans ces rues somme toute sécuritaires. Une manière de prolonger l’esprit festif et de communauté.

 

      Deuxième jour. Pendant que les milléniaux s’attellent au remplissage de nouvelles pochettes surprises, je pars tôt pour me promener un peu sur le site. J’en avais pas vu la moitié hier ! Des stands bijoux, linge, un coiffeur, un tatoueur, des vinyles (je me retiens!), des associations, une maquilleuse, un mur d’escalade et j’en passe. De quoi s’occuper pendant des jours. Je coupe court à mon exploration pour aller voir Twenty One Pilots, qui sonne bien en festival, l'envoutant Odezza, et les toujours fantastiques Alabama Shakes. Brittany Howard est une inspiration d’attitude cool et de forte présence. Dès son entrée sur scène, dans sa robe africaine assumant parfaitement ses rondeurs, tenant fièrement sa basse en bandoulière, elle envoûte instantanément son public. Pourtant elle ne parle qu’une fois entre deux chansons, pour nous lancer un “je n’aime pas beaucoup parler, mais vous savez que je vous aime mes chéris”. Nous aussi Brittany.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      J'erre de scène en scène avant de m’arrêter pour Noel Gallagher, qui reprend élégamment beaucoup de chansons de son tumultueux Oasis, puis Mumford and Sons, bien entraînant. La tête d’affiche ce soir est à l’opposé de celle d’hier: Florence and The Machine. Telle une mère lutin, elle virevolte d’une bout à l’autre de la scène dans sa robe bleue flottante. Entre les chansons, elle propage des discours d’amour et d’amitié d’une voix étonnamment fluette, avant de l’amener dans la puissance qu’on lui connaît, quand les instruments reprennent.

 

      Ça finit bien ces deux jours de folie mélodieuse. Je l’aurais bien partagée, mais on se sent jamais vraiment seule devant des musiciens. Merci Lolla. 

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SANTIAGO

HISTOIRES POPULAIRES

Mars 2016

      Santiago est une belle ville pour errer sans but. On peut y découvrir par hasard des expositions de photo, des food trucks excellents, des artistes de rue. Voulant comprendre un peu plus le fonctionnement de cette cité, je participe à une visite guidée (beaucoup de villes dans le monde en offre gratuitement, ce qui permet d’avoir une vue d’ensemble et des anecdotes historiques). Le guide nous raconte que la rivière Mapocho, qui traverse la ville, inondait une partie de la rive tous les hivers, avant que l’homme apprenne à la contrôler. De ce fait, on installait sur cet espace friable ce qu’on considérait inondable, à comprendre le cimetière, les bordels, et les ateliers d’artistes. Avec le temps, c’est devenu un quartier populaire très intéressant. On y trouve entre autre le marché Vega. J’y étais passé la veille, mais n’avais vu que le partie émergée de l’iceberg. Quand on pense arriver au bout, il y a un petit passage qui mène au vrai de vrai marché, qui doit bien faire quatre fois la taille du marché Jean Talon de Montréal. Des étales gigantesques de fruits et légumes appétissants, sur des rangées à l’infini. Les odeurs aussi sont enivrantes. J’y continue ma dégustation de Sopaipillas, que je me procure tous les jours dans des barbecue mobiles qu’on trouve un peu partout en ville. C’est un genre de mini tortilla de courge, qu’on sert avec un choix de sauces piquantes. Je suis accro.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Notre guide nous explique qu’en cas de séisme (qui arrivent régulièrement), les sinistrés se font ici offrir de la nourriture. L’entraide est primordiale au Chili, ainsi que la fidélité. On ne négocie pas les prix ici, ils sont calculés en fonction de ta loyauté envers le commerçant. Attention s’il te voit acheter des produits ailleurs.

      La visite se poursuit au cimetière, grand comme plus de cent terrains de football, et habité par plus d’un million de dépouilles. Il ressemble à celui que j’ai visité à La Paz et m’aide à comprendre certaines choses. Par exemple: les pauvres (la majorité des habitants) s’entassent dans les caveaux, pour économiser; tandis que les plus riches ont de vrais mausolées. Et comme les chilien croient que l’âme des morts reste près du corps, les amis et famille viennent visiter leurs défunts pendant des années, leur apportant des distractions, cadeaux de fête et boissons. Il y a toute une allée réservée aux enfants, remplie de jouets. C’est tristement beau. Les chiliens pensent aussi que les personnes mortes dans des accidents ont une place spéciale au paradis, près de Dieu. C’est pour ça qu’on voit parfois dans la ville un autel de fortune sur les lieux tragiques, où le monde font des offrandes au mort et lui demande de parler au Patron pour une faveur. 

 

      Lors de la visite je trouve Kim, rencontrée à Copacabana, qui se trouve loger au même endroit que Ben, rencontré en Patagonie. Ils m’invitent à souper chez eux, dans leur pension familiale où tous les aliments apportés sont partagés sur une grande table. Le genre d’endroit où on se sent en famille instantanément. Ça me change de l’ambiance de ces derniers jours au festival Lollapalooza. Surtout que ma compagne improvisée de voyage depuis un mois, Sarah, est partie ce matin vers une autre destination. Je me sens maintenant à la fois plus libre et plus vulnérable. Il faut de nouveau que j’organise tous mes déplacements et hébergements toute seule. C’est plus de travail, mais aussi plus de liberté. J’ai hâte à la suite.

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Valparaiso

VALPARAISO

UN DÉSORDRE EN 3 DIMENSIONS

Mars 2016

        Valparaiso n’est qu’à une heure et demie de Santiago, mais c’est un changement complet de décors. Le bus s’arrête aux abords d’un grand marché, nous amenant à nous frayer un chemin sur les rejets de laitues, citrouilles et autres. La ville est construite sur un amas de collines, qui sont reliées à la partie plate du bord de mer par des téléphériques. L’histoire parle d’un défi pour cartographes et je comprends bien pourquoi. La ville est plus que jamais en trois dimensions. Imaginez une forêt, dont chaque arbre serait pourvu de plusieurs plateformes habitables, le tout assemblé par des lianes mécaniques. C’est un peu comme ça Valparaiso. Des trois cartes que j’ai en ma possession, aucune n’est d’accord avec les autres sur le nom, ni même la forme des rues. Pour en rajouter, chaque colline est torturée par de multiples rues, ruelles et escaliers qui se chatouillent et s’entortillent dans un relief étourdissant. Des musiciens pratiquent leur instrument à la fenêtre ouverte, du linge pend d’un immeuble à l’autre et la plupart des murs sont vêtus de dessins plus originaux et colorés les uns que les autres. Le port de la ville est arpenté, quant à lui, par des navires militaires et des paquebots se faisant remplir de centaines de conteneurs colorés.

      Ma recherche d’une auberge recommandée dans les hauteurs est vite abandonnée, pour trouver n’importe quel endroit qui me donnera le goût de m’installer, à un prix abordable. Je jette mon dévolu sur la Casa Aventura, tenue par un couple d’allemands. Elle est charmante et confortable, et habitée par d’autres voyageurs qui me conteront de belles histoires. Puis je retourne me trouver à manger en bas de la ville, parce que c’est beaucoup moins cher et tout aussi bon!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Comme j’aime le faire, je prends part à une visite gratuite offerte par la ville, où j’apprends que Valparaiso fut un port international de grande importance avant la construction du canal de Panama. Il servait d’escale avant de traverser le détroit de Magellan. Des voyageurs de partout dans le monde s’arrêtait jusqu’à plusieurs mois avant de repartir. C’est pour ça que l’architecture s’est enrichie de diverses influences. Le bas de la ville était réservé au commerce et lieux de sorties, et le haut aux habitations. Les riches se sont éventuellement fait construire les téléphériques pour s’économiser des pas. Aujourd’hui, les hauteurs sont surtout peuplées par les pauvres dans de petits espaces, et le bas par les plus aisés dans de vieux hangars reconvertis en grands appartements. La visite nous fait monter dans un collectivo, un de ces minibus qui font la course dans les rues étroites, pour se rendre au centre culturel. C’est une ancienne prison du temps du règne de Pinochet (de 1973 à 1990), à laquelle les habitants essaient de donner une deuxième vie, en proposant expositions et spectacles bon marché; et le seul parc de la ville! Malheureusement, les horreurs du régime sont encore très présentes dans les esprits et l’association a du mal à décoller. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Plus tard, je vais visiter la maison que le poète Pablo Neruda a faite construire quand il a voulu un échappatoire à Santiago. Il l’a baptisée Sebastiana, en l’honneur de son architecte Sebastian Collao. Elle est magnifique. Biscornue, mais très bien pensée. Sur trois étages, remplie de beaux objets et avec de grandes fenêtres donnant sur l’océan. Pablo Neruda était un collectionneur d’art, de belle vaisselle et de vitraux. Un cheval de manège surprend dans le salon. J’aurais pu rester des heures à observer tous les détails, et à écouter l’audioguide me raconter des histoires.

 

      Aujourd’hui est le vendredi saint, et la ville est très, très calme. Je prends le tram pour aller à Viňa Del Mar, la station balnéaire de Valparaiso. Je voulais visiter le musée d’archéologie pour en apprendre un peu plus sur les statues de l’île de Pâques, mais le musée est fermé. Pour Pâques… Un Maoï (fameuse statue de l’île de Pâques) est heureusement érigée à l’extérieur, grandiose, même avec ses crottes de mouettes. 

Je fais vite le tour de cette petite ville au repos, et profite du beau temps pour rentrer à pied le long de l’océan. En chemin, je passe par un port de pêche / marché marin fascinant. Des poissons énormes se font extirper de bateaux pas beaucoup plus grands que des barques. L’odeur chatouille juste ce qu’il faut les narines, et je m'assois quelques minutes avec un bon jus de fruit pressé pour regarder la scène. Les mouettes observent, bien alignées sur les toits, les pêcheurs plier leurs filets. Les chiens sont à l’affût des restes. Un vendeur crie après un chauffeur qui écrase son stand de paquets de chips étendues au sol sur une serviette, dans un fond sonore de mini feux d’artifices.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Il ne me reste que 3 jours à ce voyage. Dans un premier temps, je retourne à Santiago. De là je veux aller faire une randonnée au canyon de Maipu dont on m’a parlé. Sauf que le week end de Pâques, les transports sont moindres. On me dirige alors vers Pichelimu, au bord de la mer. Mais arrivée à la gare des bus, je découvre que les départs sont annulés aujourd’hui. Alors je prends le prochain départ pour Valparaiso, deuxième round. 

      Je veux aller visiter Isla Negra, une presqu’île non loin de là, où Pablo Neruda avait une autre maison. Sauf qu’aujourd’hui elle est fermée! Bon, bon, bon. Je demande à mon logeur quoi faire. Prends un collectivo et va visiter Concon. D’accord. J’arrive avec peine à faire arrêter un des nombreux bus sous ecstasy, aux mille noms de villes écrites sur le pare brise. Après un certain temps, je demande avec mon maigre espagnol au chauffeur de m’indiquer quand on arrive à Concon. Surprise et gratitude, ce monsieur prénommé Léo a vécu à Genève et parle français.

- Que vas-tu faire à Concon?

- Je ne sais pas.

- Tu veux t’arrêter où?

- Je ne sais pas.

- Il va bientôt pleuvoir.

- Je sais.

On parle de tout et de rien, jusqu’à ce qu’il s’arrête dans un parking, change ses pancartes de pare brise et fasse demi-tour. 

- Tu ne m’as pas dit quand tu voulais descendre! On vient de traverser la ville, et là on repart.

- Ah

Il me fait descendre près d’une plage. 

- Tu n’as qu’à aller au bord de l’océan.

- D’accord. Merci Léo.

      L’endroit à tout ce qu’il faut pour être une belle place pour flâner (stands de surfers, sandwichs…), mis à part que tout est fermé. Et il fait frais. Et je suis grincheuse aujourd’hui. Je m’assois pour observer les courageux qui se mesurent aux vagues sur leur planche, puis reprends le bus. Celui-ci m’arrête devant un incroyable comptoir d'empanadas offrant une multitude de choix végétariens, et je retrouve ma bonne humeur. T’es belle Valparaiso.

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SANTIAGO

PETIT DÉLAI DOUANIER

Mars 2016

      C’est facile de se rendre à l’aéroport depuis la ville. J’ai un peu hâte de regarder des films dans l’avion, pour oublier que c’est la fin de cette aventure. Arrivée au comptoir, j’espère que le fait que j’ai avec moi mon passeport français, et non le canadien, ne va pas poser de problème. J’ai le double nationalité, et j’avais fait ce choix pour éviter des frais de douanes dans certains pays qui devaient être favorables aux européens. Finalement, il n’y avait aucune différence. Voyager avec les deux passeports ne me tentait pas non plus, trop de risque de tout perdre. 

      J’avais pas bien pensé mon affaire, parce que oui, ne pas avoir le bon passeport pose un problème. Quarante cinq minutes de questionnement sur ma situation. Oui, je vis au Canada. Non, je n’ai pas de preuve de domicile (je pars avec le minimum de papiers, uniquement ceux dont j’aurai besoin, donc ici, pas de permis de conduire). Je ne peux pas prendre l’avion en tant que française, puisque l’adresse sur mon passeport est à Montréal. Je parais bien suspecte. On me laisse le temps que la madame aille contacter un représentant canadien. Jusqu’à ce qu’on m’annonce que le temps d’enregistrement est fini. Mon esprit s’engourdit… Je ne comprends pas. Je ne suis pas sans papiers, j’ai un passeport en règle. Là on me dit que j’ai besoin d’une preuve de sortie du territoire canadien. Tu me dis ça maintenant que j’ai raté mon avion? Au final, on me change mon billet pour 1h30 du matin (dans 12h), en attendant qu’ils arrivent à joindre leur représentant mystère. Je dois rester dans le coin.

      Les deux ou trois premières heures, je les passe à essayer de me concentrer sur la situation. J’ai raté mon avion. Je suis une sans papiers, mais pas vraiment. Je ne trouve de wifi nulle part et ma famille me pense dans l’avion. J’ai mon sac à traîner et il n’y a aucune distraction dans cet aéroport. Je partage ensuite mon temps entre lire et faire le tour du parking pour me dégourdir les jambes. Vers 16h, une de mes interlocutrices me trouve pour me dire que la seule solution est d’avoir un billet de sortie du territoire. Oui, mais comment sans internet? Et pas de bureau de vente en vue... Je me remets en recherche, mais rien à faire. Je trouve un bureau Air Canada, prête à acheter n'importe quel billet, mais il n’y a personne. Je vais désespérément au bureau d’à côté. No hablo inglès…  mais parlez-vous français madame? Je lui raconte tous mes malheurs. Il me dit que personne ne travaille pour Air Canada aujourd’hui, mais il me donne son code wifi! Merci gentilhomme. Je me trouve un billet de bus pour Albany, dans l’état de New York, la première chose pas chère qui me vient à l’esprit. Bien sûr, je ne vois pas la petite case qui dit que pour deux dollars de plus, le billet est remboursable… Je préviens famille et amis, et mon père m’envoie une photo de mon passeport canadien qu’il m’avait demandé un jour de lui envoyer (dans le futur, j’aurai toujours une photo de mon passeport et carte de crédit dans mes courriels). Ça me semble des jours que je traîne dans l’aéroport et j’ai l’impression de connaître les personnes qui y travaillent, je le vois plus comme un lieu de vie, et non un lieu de passage.

      23h, l’heure d’enregistrement arrive. Une nouvelle femme me repose les mêmes questions, se renseigne auprès d’autres nouvelles personnes. Je lui montre mon billet pour les États-Unis. Elle me demande si j’ai un visa, que je devrais avoir en tant que française pour y aller. J’avais oublié ce détail, mais je vais en faire la demande dès mon arrivée à Montréal, promis (clin d’oeil complice). Elle doute, hésite, essaie de calculer la racine carrée de 53620 dans sa tête. La photo de mon passeport canadien la rassure un peu. Elle accepte, puis m’annonce que le changement de mon billet coûtera 120$. Les autres avaient dit que ce serait gratuit, mais les autres sont pas là, alors faut faire avec si tu veux un jour revoir ta porte d’entrée. D’accord, mais sache que je ne t’aime pas beaucoup madame. Elle pitone son clavier, parle encore avec ses collègues, puis me regarde avec un sourire craintif. Je fais un peu peur ça à l’air. Bon, le trajet comporte un transfert à Panama, sauf qu’il n’y a pas de vol Panama-Montréal demain. J’ai deux solutions: partir maintenant et passer une journée là-bas, ou partir demain. C’est là que je deviens rouge contre cette pauvre madame et demande compensation de m’avoir fait attendre treize heures dans cet aéroport pour rien, m’avoir fait rater le premier avion parce qu’ils ont mis quatre heures à comprendre que je devais avoir un billet de sortie de territoire, puis de me faire payer tous ces changements. Elle parle à son collègue, qui fait un petit oui de la tête. Les frais de changement sont offerts. Merci tout le monde.

Que faire maintenant. Je suis déjà allée à Panama. J’ai aimé le pays, mais pas la capitale. En plus il faudrait payer le taxi de, puis vers l’aéroport, retirer des dollars américains qui servent de monnaie là-bas… non je vais rester ici. Je vais même rester ici, ici, puisqu’il n’y a plus de bus pour retourner en ville.

      Il y a surprenamment beaucoup de monde qui dort à l’aéroport. Je teste plusieurs bancs qui bougent dès que quelqu’un se tourne, je teste le sol trop froid, je me promène dans ce lieu qui est devenu un campement (certains ont vraiment prévu tapis de sol et sac de couchage!). Je finis par trouver un banc, sans accoudoir qui rentre dans les côtes, dans un couloir peu fréquenté. Je trouve la parfaite combinaison de vêtements placés aux endroits stratégiques pour rendre ma couchette confortable, cache mes yeux avec mon cache cou et mets mes bouchons dans les oreilles, utilise mon sac comme oreiller et enroule ma sacoche autour de mon poignet. Un sommeil profond m’accompagne pour quelques heures, victoire!

 

      J’ai une journée à tuer à Santiago. Mon plan est d’aller au parc Quinta Normal, bordé de plusieurs musées. Déposer mon sac dans l’un d’eux, m’instruire un peu et faire une sieste au soleil. Mais avant, un petit tour à la laverie! Pâques avait mis en pause tous les services de nettoyage dans les auberges, et je porte le même linge depuis trop longtemps. Je retourne voir la femme qui avait nettoyé toutes mes possessions après l’incident des punaises de lit. Quand j’entre dans la boutique (après deux semaines), elle m’accueille par un Camilla!? Étrange. Elle me tend alors mon manteau de pluie. De ce que je comprends de son espagnol confondu d'excuses, il était tombé de son panier et s’en voulait tellement de ne pas me l’avoir rendu! Et bien, comme je n’en ai pas eu besoin depuis, je ne m’en étais même pas rendu compte. On est toutes les deux très contentes de cette rectification de situation.

      J’ai déjà visité le très bon musée des droits de l’homme, alors je vais à celui d’histoire naturelle. Il est petit mais intéressant. J’y fais même un petit appel skype à mon neveu qui fête ses 7 ans, avec un squelette de dinosaure en toile de fond. La sieste tant souhaitée est compromise par une pluie fine et froide, alors je me dirige vers les autres petits musées du parc: sciences, art pour enfant… À la fermeture, je récupère mon sac, vais chercher le kit de vêtements que j’ai fait nettoyer, et retourne au maintenant si familier aéroport. Les toilettes sont un vrai vestiaire, je n’avais jamais remarqué. Le monde se change, se brosse les dents, se met du déo, se coiffe, se rafraîchit le visage. Les femmes en tout cas, je ne suis jamais rentrée dans les toilettes des hommes. Ça fait beaucoup de bien de mettre des vêtements propres, et les utilisateurs des sièges voisins seront contents.

      Au comptoir d’enregistrement, de nouvelles personnes me posent encore les mêmes questions, s’échangent les mêmes regards, mais finissent par me laisser passer. Soulagement extrême. Je dis au revoir à différents employés qui me connaissent maintenant et qui me demandaient des nouvelles quand ils me croisaient.

      Je passe tout le vol à dormir, pour me réveiller à Panama, et apprendre que j’ai douze heures d’attente avant mon prochain vol. Je sais que je devrais en profiter pour aller en ville, mais j’ai l’énergie d’un lézard au soleil. J’exerce ma nouvelle capacité à dormir n’importe où (ce qui en dit long sur mon besoin de sommeil) et m’assoupis quelques heures par terre dans un coin. Quand je me réveille, on a installé des cordes autour de moi, pour que les passagers du vol, dont la porte d’embarquement est à côté, puissent faire la ligne sans me marcher dessus. Sympa.

      L’aéroport de Panama est plus développé que celui de Santiago. Il y a des couloirs pour marcher un peu (sans gros sac, ça change), des magasins (je pratique mon traditionnel push de parfum au rayon cosmétique, personne n’a à savoir que je ne vais rien acheter), des restaurants, des salons pour relaxer, et internet partout.

      Avant de monter dans l’avion, on me demande si j’ai bien mon visa pour les États-Unis. Oui, bien sûr, mais ne perds pas de temps avec moi, le monde attend. Je suis heureuse d’être dans le dernier tronçon, mais un peu anxieuse de l’arrivée à la douane canadienne. On m’a répété beaucoup de fois dans les trente-six dernières heures qu’il n’est pas exclu qu’on me refuse l’entrée au pays, dû à la non concordance de mon adresse et de mon passeport. Au final, je suis seule dans la file des non canadiens à la douane. Là on me dirige vers le bureau d’immigration, qui met trente secondes à me trouver dans son ordinateur. Je lui fais part de mon enthousiasme face à la rapidité de l’action, et lui décrit brièvement mes deux derniers jours. Je fais sa journée. Ça me fait plaisir de vous divertir monsieur de l’immigration.

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