OREGON
Portland - Une aura du Mountain Equipment Coop
Ashland - Grandeur Américaine
PORTLAND
UNE AURA DE MOUNTAIN EQUIPMENT COOP
J’arrive à Portland un peu par hasard. Dans les grandes lignes de ce voyage, il y avait les six semaines de volontariat sur Maui, une semaine dans la ville qui m’obsède depuis des années: San Francisco, et du temps pour broder entre les deux. En regardant une carte du monde, une de mes activités favorites, et en testant les prix des différents vols sur google flight, j’ai trouvé un billet pas cher Kona-Portland. Le nom m’a plu et il me semble qu’on m’en a parlé en bien.
J’arrive par un vol de nuit. Une certaine Ann a répondu à ma demande de coach surfing, mais elle rentre de voyage demain et je passe donc la première nuit dans une auberge de jeunesse. Je convaincs la réceptionniste de me laisser entrer dans ma chambre avant l’heure prévu pour aller dormir quelques heures. Je suis dans le genre d’état où pourrait me dire que je suis à Las Vegas ou Bamako, à 8h ou 23h et je le croirais. Un peu reposée, je sors à la découverte Portland, et c’est le coup de foudre. Mes pieds déambulent sans fin dans cette ville à l’aura d’un Mountain Equipment Coop. Elle est assez grande, au milieu de parcs nationaux, avec une majorité d’habitants adeptes de plein air qui se déplaçant à pied ou en vélo. Ça me dépayse totalement de Hawaii et ses pick ups. Les magasins d’équipement sportif sont à chaque coin de rue, séparés par des cafés et restaurants, tous invitants. Je passe par la librairie Powell’s Books qui ferait rougir Gibert Joseph à Paris (ma référence jusque là en démence littéraire). Trois ou quatre étages (il y a des mezzanines et demi-étages, c’est dur à dire) de livres neufs et d’occasions. Je cherche un guide pour San Francisco, mais me retrouve dans le rayon des récits de voyages, essayant de me limiter à deux livres dont je n’ai absolument pas besoin, et dont mon sac ne veut pas.
De retour à l’auberge, je rejoins la soirée jeux organisée, histoire de ne pas céder à la fatigue nuit blanche/décalage horaire et de me coucher à 20h. Au début, il y a juste Meghan, l’hôtesse de la soirée. Elle ressemble à la secrétaire dans Monstres et Compagnie, au look rétro, lunettes pointues et maquillage brun, mais la version dont tu veux devenir l’amie instantanément. Se joignent ensuite deux habitués, et les enfants du patron. Entre 18h et 23h, j’ai au moins quatre fous rires, deux bières (dont une offerte par la maison), des recommandations avec cartes à l’appui pour de futures randonnées, et le prêt d’un réchaud pour mon camping de la semaine prochaine. Je n’aurai qu’à le renvoyer par la poste. Qu’espérer de plus?
Ann, mon hôte pour les prochains jours, est difficile à décrire. Elle est enthousiaste. Très enthousiaste. Elle est fin quarantaine, a eu dix carrières, et se lance maintenant dans le coding. Elle est adepte de tout ce qui parle d’énergie positive, entretien plusieurs conversation en même temps (souvent toute seule), perd le fil, puis y revient plus tard. Elle est généreuse, donne sans compter, et s’attribue la mission de me faire découvrir sa ville tant aimée. Elle m’emmène entre autre au bar Rimsky. C’était la maison d’une femme qui aimait tant recevoir qu’elle a fini par la transformer en bar mystérieux. De l’extérieur, on ne voit que quelques lumières émaner de cette demeure sans prétention. À l’intérieur, des tables décorées sur le thème des grands compositeurs classiques. L’une d’elle tourne extrêmement lentement. Le client va ainsi poser son verre et le retrouver plus loin quinze minutes plus tard. Une autre se rehausse au même rythme, et une autre rentre dans le mur, tirée par le monde en cuisine. Les fenêtres sont ornées de guirlandes lumineuses, et un mannequin à l’effigie de Satie fait du kayak dans les toilettes. Avant il prenait un bain, mais les temps changent. Un piano attend un joueur, qui exceptionnellement ne viendra pas ce soir, au grand désarroi de Ann qui à l’impression que mon expérience n’en sera pas complète.
Elle m’emmène aussi dans les studios télé “open signal”. De ce que je comprends, la ville est obligée de subventionner un studio de télévision locale ouvert à tous. Une chaîne du câble est réservée à ces programmes, sans publicité. Ainsi, n’importe qui peut lancer un projet d’émission, suivre des formations techniques et utiliser l’équipement mis à disposition: caméras, studios avec éclairage et matériel de son, station de montage, ainsi que quelques techniciens employés pour vous aider. Ann se dit productrice TV et me montre des émissions qu’elle a animées, parlant d’accomplissement personnel. L’idée est bonne, mais le résultat ne me convainc pas. Quand elle me regarde droit dans les yeux en attendant une réaction, je me pare de mon plus beau sourire et dis “this is great!”. Ça me briserait le coeur de couper son enthousiasme.
Je me promène à l’infini dans les rues de Portland, même si la fraîcheur (qui paraît plus dure après les tropiques) et la pluie presque incessante me donnent l’impression d’être en automne. Par un extraordinaire hasard, c’est le temps des cherry blossom, ces cerisiers dont les fleurs tombent au printemps. Mêlés au vent, c’est un tourbillon constant de pétales doux et colorés qui me donnent l’impression d’évoluer dans un conte de fée.
Un jour ensoleillé miraculeux me permet de marcher toute une journée à Forest Park, une montagne au bord du centre ville qui te fait croire que tu es en forêt loin de tout. C’est en regardant un panneau au pied d’un arbre que je lis “giant sequoia”. Je lève les yeux, plus haut que jamais, et observe ce géant dont j’ai tant entendu parler. C’est le début d’une grande histoire d’amour.
Je fais des pauses de pluie avec des activités intérieures, comme aller manger des beignes au Blue Star Donuts, boire des chocolats chauds dont la mousse est en forme de feuille, ou bien je vais voir des expositions. Ann m’emmène au musée d’art, qui en offre une magnifique sur la société production de films d’animation locale Laika. Ma visite est ponctuée par des passages éclairs de Ann arrivant en trombe, s’écriant “there you are!”, regardant un morceau quatre secondes, puis perdant le focus. Et rebelote dix minutes plus tard. J’ai l’impression d’être mon grand frère qui peut passer des heures dans les musées, avec le reste du monde qui lui demande si on peut bientôt partir.
Dans ma dernière journée, je vais voir le film “Army of Darkness” pour 2$ au Mission Theater. C’est une vieille salle de spectacle avec une scène et un écran; le genre de théâtre qui doit projeter ”The Rocky Horror Picture Show” ou offrir du music-hall. L’écran est bordé de gros rideaux en moquette royale, des lustres vintages aux ampoules de sodium décorent le plafond et un balcon majestueux sort du mur. À l’arrière, un bar offre boissons et friandises, qui deviennent indispensables dans cette ambiance. La barmaid annonce le film au micro, tout en continuant à servir, et on s'assoit dans un des fauteuils confortables. Avant le film, au lieu de bandes annonces, on nous montre de vieilles publicités en noir et blanc.
ASHLAND
GRANDEUR AMÉRICAINE
Avril 2018
J’ai une semaine de battement entre Portland et San Francisco. Ma perte, puis attente de carte de crédit m’ont permis de faire des économies sur mon budget voyage; en plus je me suis fait envoyer mon permis de conduire que j’avais laissé à Montréal, histoire d’avoir un papier d’identité. L’idée me vient assez vite de louer une voiture et de descendre la côte ouest, et pourquoi pas, passer par un parc national. Mes soirées à Portland sont assez occupées à étudier la carte de l’ouest du pays, googlemapper tous les itinéraires possibles et le nombre d’heures de conduite. Voici le plan final: de Portland, je pars pour Ashland, d’où j’irai visiter la Redwood Forest. Puis le Yosemite National Park, le Sequoia National Park, Monterey, et enfin San Francisco.
En prenant possession de ma nouvelle auto temporaire, je découvre avec exaltation qu’elle est munie d’une radio satellite et m’empresse de trouver mes radios préférées: 60s, 90s, 2000s, seriusxm et lives coachella. C’est comme un rêve que je ne savais pas que j’avais, qui devient réalité.
Première étape: Ashland. Ça pourrait prendre cinq heures en ligne droite d’autoroute, mais je préfère faire un détour pour longer la côte. Après un début de trajet quelconque en banlieue, arrive l’océan! Il semble plus grand qu’à Hawaii, peut-être parce que la côte est visible sur une longue distance. Des géants de mousse (arbres recouverts de mousse végétale) longent la route qui ne sera jamais monotone, même après huit heures de conduite. Elle est sinueuse, féérique. Le pare brise est tantôt inondé par le soleil, tantôt frappé par la pluie. L’océan défile d’un côté, et des montagnes, des arbres, des scieries et autres architectures locales de l’autre.
Mon GPS est muni de wifi, ce qui me permet d’écrire à Ron sur la route. Je l’ai rencontré, lui et sa femme Laura, au Volcano National Park il y a deux semaines. On a du se parler dix minutes, pendant lesquelles je leur ai fait part de mes plans. Sans hésiter, ils m’ont proposé de m’héberger. Quand je leur ai envoyé un message timide il y a quelques jours, leur demandant si la proposition tenait toujours, la réponse a été: “on est encore à Hawaii, mais entre, on ne barre jamais la porte. Tu peux dormir dans la chambre bleue, première porte à gauche.”
Vers 19h, mon appareil de géolocalisation me mène à une grande maison de campagne, avec des chèvres dans le jardin. Je frappe quand même, juste au cas où, parce que les lumières sont allumées. Rien. Je vérifie que c’est le bon numéro, la bonne rue, la bonne ville, on sait jamais. Je me décide à entrer. Il y a effectivement une chambre bleue, première porte à gauche. Une grande maison pour moi! Et chaleureuse! Les deux chats des lieux m’observent sans comprendre la situation. Un m’adopte assez vite, l’autre va me surveiller sans relâche.
Pendant que je me fais à manger, essayant de déplacer le minimum de choses, Hilda, une amie de Ron et Laura, dont la visite m’avait été annoncée, entre dans la maison. Elle est probablement venue vérifier que je n’étais pas en train de partir avec la télévision, mais elle a aussi apporté à manger, au cas où j’aurais pas prévu. C’est une femme étonnante, coiffeuse et petsitter, qui vit dans cette maison entre deux gardiennages (elle a un contrat ces jours-ci). On parle voyage, rando, de Laura qui défie les pronostics de son cancer depuis sept ans (je n’aurais jamais deviné), de théâtre. Puis elle repart, en m’expliquant comment marche la laveuse et s’assurant que je ne manque de rien. C’est étrange de dormir seule dans cette maison étrangère, mais c’est pourtant la meilleure nuit de mon voyage.
Expédition du jour: la Redwood forest. Deux heures et demie de route bordée de panneaux de directions pour les RV parks et des musées de villes improbables, racontant probablement l’histoire de ces contrées. J’imagine la conquête de l’ouest, la ruée vers l’or dans ces décors de montagnes surmontées de nuages, comme des enfants qui se couvrent les yeux pensant se rendre invisibles. Je passe la frontière californienne; je ne savais même pas que ça existait. C’est une maisonnette au bord d’une route de campagne, au toit couvert de mousse. Le garde me laisse passer. Je n’ai pas l’air de passeuse d’objets d’art ou de substances hallucinogènes. De l’autre côté, c’est le monde des séquoias! Le centre touristique me donne plus d’information sur les routes que sur les chemins, mais le personnel, ainsi que celui du magasin général, sont d’une chaleur envoûtante.
Les séquoias. Ils me font me sentir comme un légo dans un décor de taille humaine. La différence avec les banyans, c’est qu’on n’en voit que le gros orteil. Il faut lever lever haut la tête pour en voir le reste du corps. C’est le non-visible qui impressionne. La forêt ne paraît pas dense, puisque le feuillage est hors de portée de vue, et pourtant, c’est des centaines de troncs au diamètre hors norme qui peuplent les environs. C’est comme une forêt bien rangée en apparence, mais qui cache tous ses secrets dans le grenier.
En fin d’après-midi, je retrouve Hilda, qui me fait visiter Ashland. Ville aux mille lumières, qui invite à flâner et relaxer dans un de ses cafés, et dont le grand campus donne envie de retourner à l’école. On longe des champs de poiriers en fleurs qui émanent une douceur blanche, tandis que je rentre pour une dernière nuit dans la maison du bonheur, avant de partir pour le légendaire parc Yosemite.