BIG ISLAND
Hilo Le Merrie Monarch Festival
Volcano National Park La fausse tranquillité des volcans
MERRIE MONARCH FESTIVAL
Avril 2018
Après Maui, je me donne une semaine pour découvrir une deuxième île. Suite à beaucoup de changements d’idée, je m’arrête sûr celle qui donne son nom à l’archipel d’Hawaii, et qui est communément appelée Big Island. Mon premier arrêt se fait à Hilo, sur la côte est. J’éprouve un mélange de nostalgie d’avoir quitté Hana et d’excitation d’être enfin sur la route, à la découverte de nouveaux mondes.
J’ai choisi Hilo car c’est la semaine du Merrie Monarch festival, une célébration des chants et danses traditionnelles. La ville se pare de couleurs et de sons joyeux, et c’est dans cet esprit qu’une promenade m’amène à un gazebo, sous lequel une troupe amateur de hula exhibe son talent. C’est un groupe d’environ dix femmes d’entre 30 et 60 ans, toutes vêtues de la même robe longue et violette, leurs cheveux ornés de fleurs tropicales. Malgré leur synchronisation approximative, elles délivrent chacune à sa manière une interprétation juste et délicate de la musique. La meneuse est au centre, chantant les indications sans jamais perdre son sourire de fête. À la fin de la représentation, comme à chaque fois, le public est invité à former un cercle, à se tenir la main, et se recueillir pendant que les danseuses chantent une prière hawaïenne.
Je passe ensuite par le Banyan drive, une grande allée bordée d’arbres gigantesques, le long d’hôtels luxueux. L'origine de ce paysage tropical était une idée simple: faire planter des arbres par les invités marquants de hôtels voisins. Cette idée a pris de l’ampleur entre les années 30 et 60, pour finalement former cette impressionnante avenue. Chaque arbre porte le nom de son jardinier, dont notamment Roosevelt, le roi Georges V, Cecile B. DeMille, Babe Ruth et Amélia Earhart. La canopé a résisté aux tsunamis et tremblements de terre, bien plus que toutes les constructions humaines des alentours...
Les hôtels à côté offrent aussi des démonstrations de hula, dont je ne me lasse pas. Cette danse semble partir des hanches, mais en réalité, tout est dans les jambes et les pieds. L’une des danseuses se guide par deux bâtons qu’elle frappe au rythme de ses pas, et au chant accapella d’une autochtone imposante par sa voix et son corps.
Je finis mon exploration du festival en me rendant au Civic Center, le quartier général de l’événement. C’est ici que se déroulera la compétition des équipes professionnelles en fin de semaine. Ces dernières se promènent, portant les couleurs de leur équipe et évaluant leurs adversaires. J’ai l’impression d’être aux jeux olympiques.
En attendant le grand jour, des amateurs défilent sur la scène pour une compétition hors ligue, observée par un public agglutiné sur des gradins, consommant des produits locaux dont les stands débordent jusqu’au parking. C’est une explosion d’odeurs douces et de couleurs vives à la manière Pacifique.
Je teste ensuite l'auto stop sur cette nouvelle île, et il est assez efficace. Un hawaïen dont je ne comprends pas le nom et à la voix porteuse m’amène à Rainbow Falls. Il m’y attend dix minutes, le temps de visiter les environs. La cascade n’est pas exceptionnelle, mais elle est gardée par un banyan si grand qu’au moins six personnes jouent à cache cache dans ses branches, et j’ai du mal à les trouver. Je pense qu’il est plus étendu que mon immeuble.
Sur le chemin du retour, mon chauffeur arrête des connaissances sur la route. Il essaie de trouver quelqu’un pour m’emmener à Akaka Falls, un incontournable d’après lui. Face à l’insuccès de son entreprise, il me fabrique un signe en carton indiquant ma destination, et me dépose dans la bonne direction. J’ai pas tant que ça mon mot à dire dans tout ça, je me laisse porter par son enthousiasme. J’hésite à rentrer à mon auberge, car il se fait tard et que je ne sais absolument pas où je vais, mais je n’ai pas envie de gâcher la pancarte fabriquée avec tellement de soin. Je n’ai pas le temps d’hésiter bien longtemps, car une auto s’arrête assez rapidement. Quinze minutes plus tard, je marche dans la jungle vers une imposante et magnifique cascade. Me vient alors la même question qui me suit depuis des semaines, mais d’où vient toute cette eau !?
LA FAUSSE TRANQUILITÉ DES VOLCANS
Avril 2018
La raison principale qui m’a fait choisir Big Island est le Volcano National Park. Il comprend deux volcans; le Kïlauea, le plus actif au monde, et le Mauna Loa, le plus haut du monde. S’y rendre demande un peu d’organisation, ce qui n’est pas le fort de la région mettons. Procédons étape par étape. Tout d’abord, depuis Hilo, je dois trouver ce qui me manque pour camper et randonner, c’est-à-dire casserole, assiette, couverts et petit sac à dos (pour remplacer celui perdu). Je fais le grand tour: armée du salut, surplus de l’armée et minuscule magasin de sport providentiel. Ensuite, trouver le bus qui m’amènera à l’office du tourisme du parc. Les horaires sont à titre indicatif, mais je finis par embarquer et arrive quinze minutes avant la fermeture. Il n’y a pas de navette, car qui viendrait ici sans auto ? Je trouve tant bien que mal la route qui mène au camping, et c’est parti pour cinq kilomètres à pieds, les voitures me dépassant sans freiner. Le point positif, c’est qu’en arrivant au site, plusieurs des chauffeurs des-dites autos se confondent en excuses de ne pas s’être arrêtés, et me voilà garantie de lifts pour les trois prochains jours.
À peine le temps de monter ma tente, Laura vient me voir. Elle et son mari Tom, de Ashland, Oregon, sont sortis de leur retraite pour venir jouer aux cuisiniers pour un camp de vacances d’adolescents québécois, guidé par leur fille. Il leur reste beaucoup de nourriture, et Laura fait le tour du camping pour proposer au monde de venir partager les restes. Ils me donnent aussi du bois, et leur numéro de téléphone pour les joindre quand je serai en Oregon dans deux semaines. De la générosité à l’état pur.
Ce bloc party improvisé me donne l’occasion de rencontrer Kelli et Linda, de Calgary. Elles m’invitent à aller voir le cratère du Kïlauea en ébullition de nuit. Il peut se faire observer à une distance de deux kilomètres, mais c’est assez pour voir la lave propulsée vers le ciel. Le volcan est revenu en activité en 2008, obligeant à fermer des sentiers, mais donnant naissance à une nouvelle attraction qui matérialise les bouches de l’enfer. Le ciel est partagé entre cette couleur de sang, et les millions d’étoiles que la région équatorial laisse voir.
Trois semaines plus tard, le volcan va s’énerver un peu plus, beaucoup plus, obligeant le parc à fermer ses portes pendant plusieurs jours, et à l’évacuation des villes avoisinantes.
Le lendemain, Kelli, Linda et moi chaussons nos souliers de marche et partons à la découverte du parc. On commence par le sentier du Sulfur Banks, aux émanations de souffre qui sentent l’oeuf pourri. L’Amérique, qui aime exagérer sur les panneaux d’avertissement pour se prévenir de toute poursuite, est à son plein potentiel. Le chemin est jonché de panneaux indiquant les dangers de ce gaz pour la santé, et des périls de cette situation géographique, tout simplement. Malgré ça, que c’est excitant de sentir le sol bouillonner sous nos pieds!
Le Kilauea Iki Trail commence dans la forêt, et se poursuit sur le cratère dont la dernière éruption s’est déroulée dans les années 70. On ne sait pas à ce moment là qu’il se prépare à cracher sa lave dans peu de temps. Ça ne fait pas partie des informations données sur les panneaux d’avertissement. C’est un très beau mélange irréel de forêt tropicale et de désert rocailleux, comme un yin et yang géologique.
Enfin, on marche le Devastation Trail, un Jurassic parc de cratères, actifs il n’y a pas si longtemps. On imagine ce terrain, qui s’étend sur des kilomètres, grouillant d’activité, frémissant, tremblant, et maintenant laissé pour mort.
Le soir, le ciel est couvert et les nuages se teintent de rouge, parsemés de flashs d’orage. Un vrai ciel d’apocalypse. Sous ma tente, je me rappelle une conversation qu’on a eu dans la journée avec Linda et Kelli. Elle m’ont appris que statistiquement, on a plus de chance de se faire frapper par la foudre qu’attaquer par un ours. Pour étayer le sujet, quatre de leurs amis ont été victimes de la foudre, contre un par un ours. Intéressant, mais pas rassurant dans le moment présent.
La pluie bat son plein le lendemain matin. Kelli et Linda me déposent à l’entrée du parc, avant de quitter pour Hilo. Je me procure un poncho au magasin de souvenirs (mon manteau de pluie me manque), et commence à longer la route qui mène à la côte. Il paraît que le temps est plus clément par là-bas. Peu de monde ont le goût de braver les éléments aujourd’hui, et je ne dois pas avoir fière allure dans mon sac plastique bleu poubelle de recyclage, mais une voiture s’arrête enfin. Tant mieux, parce qu’il me restait encore dix-huit kilomètres avant ma destination…
C’est vrai que le temps est plus beau au bord de l’eau. D’abord, je fais une courte marche à gauche de la rue, vers des pétroglyphes. Sur le chemin, une étendue à perte de vue de sol calciné et craquelé. Parfois, un arbre ou une fleur réussit à se faire un chemin sur cette terre détruite par la lave. C’est drôle comme le standard de visite des grands parc est en voiture. La plupart des gens se déplacent mécaniquement de point de vue en point de vue, ne descendant de leur véhicule que pour prendre une photo. Un selfie en général. Pour accéder aux pétroglyphes, il n’y a qu’une route, de vingt kilomètres dans un sens, puis une marche d’un kilomètre. Bon nombre de visiteur rebroussent chemin, ou plutôt tournent leur volant, devant ce panneau de bois maléfique indiquant la distance à marcher. La perte de temps est moins important que la perte d’énergie ça à l’air. D’un autre côté, ça fait moins de monde sur ces gravures d’un autre temps, aux contours poétiques et presque magiques. Elles font aussi bien penser à un souvenir de bal dansant qu’à une incantation de sorcellerie.
À droite de la rue commence le Puna Coast Trail. Vingt et quelques kilomètres celui-là, autant dire que je vais être toute seule pour le reste de la ballade. La randonnée est un chemin entre l’océan et la montagne, sur de la lave séchée. Le sol irrégulier me fait penser à de la neige qui aurait gelée en gardant la trace des pas. La forme des coulées les plus récentes est figée, le sol émet des craquements comme des gouttes de pluie sur l’asphalte. À certains endroits, le sol est irisé et ressemble à une peau abandonnée par un serpent après sa mue. J’imagine un anaconda de cent mètres de long sur le bord de se réveiller sous mes pas. Plus loin, les formes du sol ressemblent à une tortue, puis à une baleine qui sort son oeil de l’eau pour m’observer. Je suis les cairns qui indiquent le chemin, tous pourvus d’un corail ou coquillage blanc à leur sommet, pour détonner du paysage obscur. Les seules traces humaines sont les panneaux d’avertissement. En cas de tsunami ou de tremblement de terre, accéder au point le plus haut. Bon à savoir.
Ça fait trois jours que j’essaie de faire du feu pour cuisiner mes excellents repas lyophilisés (espace et poids restreints par mon sac), sans succès. La moiteur du bois n’aide pas. Une famille de vrais rednecks vient spontanément à mon secours. Une fillette de cinq ou six ans à l’attitude d’une meneuse de claque professionnelle m’explique comment commencer par des brindilles avant d’attaquer le gros bois, that’s it ! Je suis émerveillée par ce spectacle. Ils s’assurent que j’ai tout ce qu’il me faut, puis retournent à leurs affaires. J’ai le goût de leur faire une révérence.
TRAVERSÉE DE LA GROSSE ÎLE
Avril 2018
Pour une fois, j’ai un itinéraire claire. Un bus va m’amener du centre d’information du Volcano National Park, jusqu’à Kona. J’ai les horaires sur une feuille, et un lift qui me dépose à l’heure au point de départ. J’ai le temps de relaxer, d’observer des visiteurs arriver sur le site et se préparer à être éblouis par le parc. J’ai même le temps de regarder une fois de plus la feuille d’horaire du bus, et remarque la petite ligne que j’avais pas pris le temps de lire, et qui indique: du lundi au samedi. On est dimanche, Hamoa day, pas de bus.
C’est l’heure du plan B, qui me faisait un peu peur, non pas pour les risques mais pour la distance, l’auto-stop. Je vais littéralement de l’autre côté de l’île, à Kailua-Kona, à 96 miles, soit 150 kilomètres.
Il est tôt un dimanche matin et l’absence d’amateurs de plein air chevronnés m’inquiète un peu. Je suis tout de même sur une longue route toute droite d’où on ne voit pas les extrémités, et longée de nature désertique. C’était sans compter sur l’apparition du charismatique Jeff. 63 ans, ancien cultivateur de pot californien, il vit maintenant dans sa voiture, avant d’intégrer une maison de retraite (pour avoir une vraie douche et manger des aliments cuits). À mes pieds sous le siège passager, un sac avec une trentaine de CD de jazz et musique classique. À l’arrière, un matelas et une glacière remplie de bières et de mets crus végétariens. Il me décrit sa vision du paradis: parcourir l’île en auto en écoutant de la musique et en buvant de la bière (deux entre 9h15 et 10h30). Il m’en propose une, mais c’est trop tôt pour moi, même en vacances.
Jeff met un CD de John Coltrane dans l’auto-radio, me renvoyant l’image de mon grand frère dessinant des plans pour ses études en architecture sur cette même musique, il y a presque 20 ans. Le pouvoir de la musique sur notre cerveau me surprendra toujours.
Comme je ne connais pas le coin, et qu’il a du temps à perdre, Jeff m’emmène à Black Sand beach, où deux tortues se font un bain de soleil, puis à la plage où il aime passer la nuit, le coffre ouvert vers l’océan. Il me présente sa meute de chats errants qu’il a apprivoisée en la nourrissant. Il essaie aussi d’attirer les bernaches nénés (des oies sauvages), en imitant leur cri en soufflant à travers ses mains jointes, et en créant un trémolo avec le mouvement de ses index et auriculaire gauche. Il ressemble à une Blanche-Neige white trash que tu ne peux pas t’empêcher de trouver sympathique. On parle musique, végétarisme, randonnée, je lui décris Maui et il m’explique les terres hawaïennes.
Il me dépose à Naalehu, au sud de l’île, où il va regarder du sport, n’importe quel sport, il les aime tous, sur la télé d’un bar. Il m’invite à le joindre, mais je suis encore loin du but et je préfère ne pas traîner. Il me donne du humus et sa bénédiction. Au revoir Jeff, tout le plaisir a été pour moi.
Trente minutes d’attente; pendant lesquels je déguste mon cadeau et envisage de rejoindre Jeff au bar, regarder une game de golf et installer ma tente à côté de son auto sur la plage. Puis Clay s’arrête. Il me conduit jusqu’à Ocean View, avec un arrêt paysage à mi-chemin. Le monde ici aime bien prendre leur temps, et inciter les touristes à faire de même. Il me montre les falaises du haut desquelles lui et d’autres fous ont sauté. On passe devant la veillée funèbre d’un homme de 53 ans qu’une vague a écrasé contre les rochers. C’est aussi ça Hawaii, tous les cycles de la vie qui s’entremêlent et la nature qui en est le chef d’orchestre.
Clay me dépose devant un restaurant qu’il me recommande. Je m’étais prévu un lunch, mais après trois jours de repas en sachets, la perspective d’une bonne salade dépasse toutes les résolutions de budget serré.
Il est midi, et je suis sur le bord d’une autoroute en plein soleil. Par chance, je n’attends pas longtemps puisqu’un homme, dont je ne comprends pas le nom, s’arrête. Il va à Kona et passe par la rue de mon auberge. Il me demande si ça ne me dérange pas s’il poursuit son livre audio. Le paysage, en plus d’être magnifique, devient romanesque.
Résultat de l’expérience de covoiturage improvisée, j’arrive à Kona à 13h, soit 3h30 plus tôt que le bus prévu. T’es bien fine Big Island !
ACTIVITÉS NAUTIQUES
Avril 2018
Je continue de hitchhiker mon chemin à travers la ville. Un de mes bons samaritains est Paulie, un hawaïen aux boucles d'ébène qui lui tombent dans le dos. Il me recommande d’aller à l’hôtel Sheraton si je veux un bon cours de stand up paddleboard. C’est donc là que je me dirige le lendemain, avec pour directive de parler à un certain Nick et de lui dire “Paulie sent me, and told me that you could hook me up”. C’est pas tout à fait ce que je dis, mais ledit Nick est quand même prêt à me faire un deal sur le cours d’une heure à 150$... Ouin, pas sûre. Devant mon air qui doit montrer ma recherche de comment poliment décliner son offre, il m’assure que que la baie qui borde l’hôtel est très calme, et que, forte de mon expérience de deux sorties en lac et fleuve, je devrais pouvoir me débrouiller toute seule. Angelica, une allemande qui écoutait notre conversation l’air de rien, me demande si ça ne me dérange pas si elle m’accompagne. On se donne rendez-vous dans dix minutes, le temps d’aller se changer.
Dans la salle de bain de l’impressionnant complexe hôtelier aux piscines et espaces détente intimidants, je m’aperçois que j’ai apporté deux bas de costume de bain, et pas de haut. Je donne le blâme à l’alarme incendie qui a sonné aux dix minutes pendant deux heures dans la nuit (on s’excuse pour la gêne occasionnée), et aux lèves-tard de mon dortoir qui m’ont obligée à faire mon sac dans l’obscurité. Qui dort passé 8h en vacances !? J’observe ma brassière. Elle peut presque passer pour un haut de costume de bain. Et après avoir passé autant de temps à négocier le tarif d’un cours, puis finalement d’une simple location de planche, je ne peux pas me dégonfler.
Boom! je suis debout sur une planche sur l’océan Pacifique. Au début, je suis fébrile, les jambes contractées. Mais c’est vrai que l’eau est plate comme un lac, ou presque. Je dérive entre les bateaux, les cocotiers et le large. Angelica a plus de mal et tombe souvent, mais se hisse sur sa planche chaque fois comme une guerrière. En prenant de l’aisance, je me lance un peu plus vers le large, jusqu’aux limites déterminées par Nick. La houle m’astreint à un jeu de jambes pour garder mon équilibre. Ce n’est probablement pas impressionnant vu de l’extérieur, mais j’ai l’impression de braver les éléments. Appelez moi capitaine Cook.
J’accompagne deux québécoises de mon auberge à la Magic sand beach. Selon la légende, les vagues emportent parfois tout le sable de la plage, n’en laissant que des galets, pour le ramener plus tard. Je n’assiste pas à ce spectacle, mais la vue d’un dauphin au loin nous fait scruter intensément l’horizon pendant un bon moment. Nous déterminons que ça correspond à un moment magique et acceptons la légitimité du nom de cette plage.
Les filles, fraîchement arrivées sur l’archipel, essaient de résister aux vagues qui ont un faux air câlin. Pour ma part, j’ai acquis un certain savoir-faire ces dernières semaines: affronter les petites vagues de profil, plonger sous les grosses. Toute une science.
Ce soir, je me paie la traite: une croisière pour observer les raies mantas. Un taxi m’amène à une marina perdue où sont amarrés tous les bateaux de plaisance que je n’ai jamais vus sur l’eau (les eaux hawaïennes sont généralement dépourvues de bateaux à cause de ses courants violents). On me donne un wetsuit, qui me rentre dans tous les replis, et on prend le large dans un sublime coucher de soleil; de ceux qui arrivent au soir d’une journée nuageuse, au moment où le ciel s’ouvre pour laisser voir la boule de feu. Je ne me lasserai jamais des levers et couchers de cette planète effervescente.
Les vingt minutes de navigation commencent par une houle amusante, pour continuer par un remous impressionnant et féroce qui rend mon estomac pas sûr. Il fait nuit à notre arrivée, et une vingtaine d’autres bateaux partagent notre spot. On se jette à l’eau pour aller s’accrocher à une des nombreuses bouées sur lesquelles s’accrochent des touristes agrémentés de masques et tubas, faisant la planche au ras de l’eau. Shelley, notre monitrice, nous conseille cette position pour laisser les raies s’approcher le plus possible.
Elles se font attendre. Longtemps. Cependant, le spectacle est captivant; des gros spots de lumière sont sous l’eau pour nous laisser voir les raies (à refaire, je ferais plus de recherches pour savoir à quel point tout ce cirque dérange les poissons. On nous a tout de même interdit de toucher, ou d’interférer dans la vie sous-marine), des dizaines de plongeurs avec lampes torches, échappent une infinité de petites bulles scintillantes qui remontent jusqu’à nous; et il y a beaucoup, beaucoup de poissons gris comme ceux allongés à la poissonnerie, aux yeux globuleux. J’ai l’impression d’être dans un aquarium et d’observer la vie de dehors. Il y a toute une ville en bas dont j’étudie la circulation.
Le remous n’améliore pas l’envie de renvoyer mon avocat inconsciemment mangé juste avant de partir. Est-ce que ça se fait de vomir sur une surface sur laquelle au moins huit personnes très proches de moi plongent leur visage ? Aussi, ça fait un moment que j’ai froid et que j’essaie de me convaincre que je n’ai pas envie de rentrer quand, enfin, des raies paradent. Ou peut-être est-ce la même qui fait son show. Elle(s) reste(nt) au ras du sol, mais les plongeurs donnent une idée leur grandeur; un bon mètre cinquante d’envergure. Elles se laissent planer par le courant, comme un aigle bien relax dans le vent. La bouche grande ouverte pour avaler un max de planctons. Les points blancs au bout de leurs antennes leur laisse voir là où il n’y a pas beaucoup de lumière. Shelley nous promène beaucoup. J’imagine que la pression est forte les soirs où les raies sont timides.
De retour sur le bateau, Travis, notre capitaine, nous attend avec un tuyau d’eau chaude, une serviette douillette et un chocolat chaud. Merci Travis. La famille avec qui je partage le bateau va dans la direction opposée, alors je quitte précipitamment le quai pour trouver un lift. L’endroit est assez désert, et je pense que j’effraie un couple d’allemands en arrivant de nulle part pour leur demander où ils vont. Le choc passé, ils me racontent qu’ils vivent à Calgary depuis deux ans, et on partage nos impressions d’immigrés européens au Canada.
Je retrouve Angelica à Holualoa pour ma dernière matinée sur l’île. La plage, réputée pour ses poissons, est séparée en deux: les surfeurs à droite et un champs de tubas à gauche, surveillés par un maître nageur qui réprimande ceux qui se trompent de catégorie. J’aurais cru les poissons effrayés par tant d’humains à lunettes, mais faut croire qu’ils sont habitués, comme les écureuils à Montréal. La population principale de ces fonds marins sont des petits êtres jaune poussin, mais il y en a aussi des bleu électrique, noir velours, et un grand plat comme le chef d’aquarium dans Le monde de Nemo. Les poissons se font balloter par le courant, mais semblent ne même pas s’en rendre compte. Pourtant, ça ne doit pas être facile de manger la nourriture des coraux dans un tourbillon.
Avant de quitter, je goûte enfin le kava, une boisson extraite du légume racine du même nom. Le serveur m’explique que cet aliment a été amené par les polynésiens dans leurs tout premiers bateaux. C’est l'équivalent social d’un bon vin; ce breuvage est servi avec les repas de fête, partagé dans les événements communautaires, et engourdit légèrement la bouche. C’est apparemment très bon pour la santé. Je prends la version touristique, c’est-à-dire mélangé à du jus de fruit, pour diluer son goût terreux et pas très affriolant. Le kava se boit lentement, comme un bon scotch, et amène à discuter avec les autres convives. Le petit stand en bois où je suis est un rassemblement d’habitués, comme un PMU version santé, ou un salon de thé sans le silence imposé. Le temps n’est pas à la méditation, mais à la detox sociale. Mon dernier après-midi résume bien mon passage à Hawaii: relax, discutant avec des étrangers, et buvant quelque chose de bizarre en m’abritant de la pluie.
Je pensais prendre un taxi pour l’aéroport, mais on me convainc de m’adonner une dernière fois l’auto-stop. Au coin stratégique qui m’a été indiqué, ça prend cinq minutes pour qu’un mexicain établi sur l’île depuis vingt ans s’arrête. L’aéroport n’est pas sur son chemin, mais il a le temps de faire un détour.
Me voilà à l’aéroport bien trop tôt, à faire le bilan. Hawaii, tu n’as été en rien ce que j’attendais de toi. Il a plu la plupart du temps, je n’ai pas appris à surfer ni le nom des fleurs, et la plupart de tes habitants sont des exilés sociaux. Cependant, tu m’as montré la générosité, des paysages et personnalités incroyables, des odeurs, une nouvelle vision de l’océan, de la musique, de la patience. Si je n’avais pas si hâte de découvrir la côte ouest, je pleurerais.