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NÉPAL

Katmandou - Une odeur de feu de forêt

Pokhara - En attendant l'Annapurna

Mardi Himal - Le plus beau paysage du monde

Pokhara - L'arrière pays

Kande-Pokhara - De village en village

Pokhara - Rencontre avec le Tibet

Pokhara - Voltige et page d'histoire

Parc national de Chitwan - Le domaine des animaux

Lumbini - Maternité de la tranquillité

Katmandou - Le chef des gars gentils

Kathmandou - Ce que j'avais manqué

Katmandou

KATMANDOU

UNE ODEUR DE FEU DE FORÊT

Mars 2019

      Dès mon arrivée à Katmandou, tout mon être est assailli par une odeur de feu de forêt. De celle qui pique le nez et te fait te moucher tout noir. Mais c'est là nuit et le ciel ne semble pas s’embraser. Mon taxi traverse la ville, prend une petite rue en spaghetti et me dépose devant mon nouveau logement. L’électricité à l’économie me donne une faible idée des lieux, mais pour l’instant j’ai juste envie de dormir; on verra demain. 

     Au premier matin, je suis complètement déphasée. J’ai accumulé un vol de quinze heures avec un autre de cinq heures, mais qui d’après le calendrier a duré deux jour. Hier est en fait avant-hier. L’avion m’a volé du temps, mais je me console en me disant que je le rattraperai au retour.

    Je m’aventure dans ces rues totalement inconnues. Il n’y a pas l’achalandage auquel je m’attendais. M’accompagnent des regards curieux sur routes de terre, et la fumée de centaines de bâtons d’encens en combustion qui m’ont fait croire à un feu de forêt. L’architecture apocalyptique doit être due en grande partie au tremblement de terre de 2015. Le monde semble s’être accoutumé à vivre sur des ruines, qu’ils ont décorées de tissus et de fleurs.

 

    Aux frontières de Durbar square, un guide m’aborde très rapidement et me promène, juste pour faire connaissance, et pour la joie de partager sa culture. Les Durbar squares étaient des sortes de tribunaux royaux. Il y en a trois au Népal: À Katmandou, à Patan et à Bhaktapur. Ces places regroupent des temples hindous et des palais. Partout, des cercles de prières animent les entrées de temples. Les bougies au beurre (puisque les vaches, et donc leur lait, sont sacrées) vacillent, les pétales de fleurs en offrande donnent des touches de couleurs et les chants apportent une sonorité à l’endroit. Le festival Holi est dans une semaine, et des événements normalement fermés aux touristes sont maintenant accessibles. De multiples divinités sont représentées sur les bâtiments (de la justice, de la fécondité…). Chacune est approchée pour régler des problèmes liés à sa spécialité. On traverse l’ancien palais qui abrite la place de couronnement. Mon guide m’apprend que le blanc est symbole de tristesse, et le jaune de joie. Le cycle de réincarnation se fait du plus petit animal au plus grand, jusqu’à l’étape humaine, puis ça recommence. C’est pour cela que les pigeons sont bien nourris, car ils furent et seront homme, peut-être dans ton arbre généalogique. Il faut faire attention en passant une porte, car des clous sont souvent plantés sur le seuil pour éloigner les mauvais esprits. J’aime déjà beaucoup toutes ces histoires népalaises! Un mélange de divin, de mythologie et de collectivité.

    Mon guide m’emmène subtilement chez un marchand de mandalas, ces dessins sphériques et conteurs d’histoires. Le monsieur m’explique que dans la plupart, l’Enfer est représenté d’un côté, le Paradis de l’autre, et le Nirvana au milieu. Si on l’atteint, tout le cycle de réincarnation est rompu et c’est pas mal ce dont tous les hindous aspirent. Les cercles extérieurs représentent les quatre éléments. Il y a toujours une balance entre les vices (jalousie, colère…) et les bonnes actions. Le vendeur a vraiment envie de me vendre un mandala, pour la culture, tu sais. Puis il peut me le garder jusqu’à mon départ, pas de problème. Mais je le déçois et nos au revoir en deviennent brefs. C’est au tour de mon guide de mettre fin à la visite, exigeant maintenant de l’argent. Je savais que ça arriverait, ce n’est pas ma première rencontre fortuite avec un inconnu qui tient à me raconter son pays. Son discours tourne maintenant autours du fait que guider, c’est son travail. Les temps sont durs, il a une famille à nourrir, la vie ne lui a pas fait de cadeaux. Quand je lui tends une somme que je sais être raisonnable, il fait mine de s’offusquer et m’accuse de l’arnaquer. Tout ça, je le sais, est de coutume, mais ça fait quand même toujours un pincement au coeur.

 

    Pour me changer les idées, je déambule dans les rues, certaines couvertes de déchets, d’autres plus rangées. C’est drôle (ou pas) de voir le monde constamment balayer la poussière devant leur entrée et y jeter un seau d’eau pour essayer de figer les particules dans l’air. Poussière qui, inévitablement, va revenir à la même place sous peu. Les routes sont en terre et on est en fin de saison sèche. L’air est difficile à respirer, l’intérieur du nez craque et les poumons toussent. C’est le lot de Katmandou. Ça donne encore plus envie de chercher ses beautés.

    Le hasard m’amène à Thamel, le quartier touristique. Un labyrinthe de rues en partie piéton. où on peut trouver de tout et n’importe quoi, réserver une expédition au Bouthan, remplacer son chargeur de téléphone et manger un bon croissant.

    Mes pieds décident de ma trajectoire et de ses tournants, et m’amènent au Garden of Dreams, un jardin zen emmuré. J’imite d’autres hédonistes et m’assois dans cette tranquillité, où on entend à peine les bruits de construction très présents partout ailleurs. L’odeur des fleurs fait un peu oublier celle de l’encens. C’est reposant.

 

    J’aimerais aller visiter Patan. On me parle de deux bus pour me rendre, mais je comprends pas bien où aller chercher le premier et je préfère marcher. J’ai téléchargé une carte du pays qui indique tout le temps où je me trouve, même sans wifi. Ça me permet un belle liberté de mouvement et d’improvisation. Ça me prend une heure de me rendre, toujours suivie par de nombreux regards interrogateurs, mais jamais menaçants. Partout, la vie se rythme aux coups de balai et aux enfants qui me suivent pour pratiquer leurs quelques mots d’anglais.

    Patan est la gentille petite soeur de Katmandou. Son Durbar Square a pris cher au tremblement de terre. Beaucoup de ses temples sont pris en arrière de grands échafaudages en bambou, mais leur beauté est encore visible. Aux alentours, des magasins d’objets en cuivre et de colliers de perles. Je me promène avec plaisir le long des rues aux volets de bois sculptés et aux enseignes à l’écriture étrange. En passant devant la cours d’un temple en pleine activité, un homme me dit que je peux entrer si je le veux. Un peu refroidie de mon expérience de la veille, je lui demande le prix de la visite. Il me dit qu’il n’y en a pas, un peu vexé. Pardon gentilhomme. Je me mêle à cette célébration que je ne comprends pas, mais est envahie par la spiritualité du moment. Deux hommes assis ont l’air de réciter des prières, tandis que la foule s’avance tout à tour vers eux, s’agenouille en dévotion ou allume une bougie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

    Un collègue m’a conseillé d’aller à la galerie Kaalo 101, gérée par son amie Helena; mais je ne la trouve pas. Je m’arrête à la réception d’un hôtel pour aller me rafraîchir sur leur toit et profiter du wifi. Pendant que j'admire la belle vue sur la ville, le barman me dit qu’il connaît Helena et va me conduire à la galerie. Une fois à la galerie, personne ne garde la place aujourd’hui, mais la femme de ménage me fait entrer. Pense juste à enlever tes souliers. Kaalo 101 est comme un appartement fait en hauteur; deux pièces par étage, sur quatre étages. Chacun rempli de photos, sculptures et mélanges de média. La propriétaire veut sensibiliser les népalais à l’art moderne et créer des ateliers, ouvrir les esprits.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

    J’ai faim et me cherche un autre toit. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour échapper à la poussière qui me donne la nausée. J’en trouve un beau, obligeant malheureusement la serveuse à faire des allers retours en cuisine en bas juste pour moi. Pardon madame. Mais j’ai bien choisi. Non seulement la nourriture, qui s’apparente beaucoup à l’indienne, est excellente, mais j’ai en plus une belle vue sur les toits aménagés de tout le ville. Beaucoup ont de vrais jardins. La petite brise est libératrice et donne du courage pour le chemin de retour.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Patan
Pokhara

POKHARA

EN ATTENDANT L'ANNAPURNA

Mars 2019

        Il se passe toujours de quoi dans les trajets en bus. Des paysages à regarder, des arrêts dans des endroits farfelus, des rencontres. Sept heures de routes faites en nids de poules me séparent de Pokhara, camp de base pour des treks. Je suis surexcitée à l’idée de rencontrer l’Annapurna, une partie de l’Himalaya. Je m’apprête à marcher sur les traces de Heinrich Harrer et Tintin, enfin presque, en un tout petit peu moins vais-je mourir dans une tempête de neige à 8000 mètres d’altitude. Assises sur les sièges devant moi, deux californiennes (le côté plage) avec leur guide, en route vers le ABC (pour Annapurna Base Camp), une randonnée réputée pour être assez difficile. Elles sont là pour cocher une case de leur bucket liste. Elles sont enjouées et motivées à découvrir ce qu’est une montagne, mais m’inquiètent un petit peu quand elles me partagent leur interrogation: l’Éverest là, est-ce que c’est si difficile que ça à marcher? Euh, des professionnels meurent en essayant, alors je pense que oui. Haussement d’épaules de leur part.

        Dans la ligne d’attente pour de charmantes toilettes turques sur le bord du chemin, je fais la connaissance de Ben et Elsa, deux allemands qui viennent de voyager sept semaines en Inde et en ont encore des étoiles plein les yeux. Ils aimeraient faire un trek, mais ne sont pas sûrs d’avoir la forme pour; ils me posent des questions sur mes projets.

        Mes projets: après conseils et recherches, j’ai décidé de mettre mon sort dans les mains de l'organisme 3 sisters. Fondé par trois soeurs (Lucky, Dicky et Nicky Cheetri) en 1994, c’était d’abord juste elles, armées de leurs bâtons de marche. Elles ont commencé à guider des touristes, surtout des femmes, qui ne se sentent pas toujours à l’aise de suivre un homme étranger vers des sommets dépeuplés. Aujourd’hui, elles engagent plus de cent femmes, possèdent une auberge, offrent différentes activités de plein air et ont créé la NGO empowering Women of Nepal (EWN), pour aider les Népalaises à s’épanouir dans ce pays patriarche. En arrivant à l'auberge, sur le bord du lac Phewa, je me sens tout de suite à l’aise. C’est beau, simple mais agréable. Le salon commun donne envie de lézarder, et les employés d’écouter leurs histoires. J’y rencontre deux autres allemandes qui étaient venues ici il y a dix, et n’en reviennent pas de l'expansion qu’a pris la ville. On est dans le quartier touristique, une bande de terre entre le lac et les montagnes, principalement  habitée par des restaurants et des magasins de plein air (on est au point de départ/zone de repos de beaucoup de treks). Il y a dix ans, tout ceci n’était qu’un chemin de terre, foulé par des aventuriers venus dire bonjour à la plus haute chaîne de montagne du monde.

 

        En me levant, j’étais décidée à aller explorer le vieux Pokhara, plus résidentiel. Mais en prenant mon très apprécié déjeuner sur la terrasse de l’auberge, j’ai été attirée par le World Peace Pagoda, sur la colline de l’autre côté du lac. C’est une stupa bouddhiste construite en 1999, qui fait partie d’un ensemble de ces constructions à travers le monde pour symboliser la paix entre tous. Pour me rendre, je dois prendre une barque. Je vais à ce qui sert de port de plaisance en arrière d’une maison, et commence à négocier. Pas tant sur le prix (pourtant élevé), mais sur l’importance de me faire remettre la monnaie exacte. Je ne sais pas pourquoi, mais au Népal, le monde rechigne toujours à rendre du change, et va souvent te dire qu’il ne l’ont pas, même quand il est dans leur main, devant toi. Ma relation avec mon capitaine part mal. Il rame, face à moi, son sourire resté au port. Mais en nous éloignant de la ville, je remarque toute la chaîne de montagnes blanches en arrière. Voyons donc, de la terre peut pas s’élever haute de même! Accompagnée d’une eau d’huile et du silence matinal, le paysage est somptueux. C’est là que je remarque qu’il y a une rame posée près de moi. Veux-tu que je t’aide à ramer monsieur? Je lis un “enfin la grosse!” dans son regard. J’essaie de me souvenir de mes rares expériences de canoë. Je ne me rappelle plus de ce qui fait un ramage efficace. Une affaire de J. J’ai vite mal aux épaules, mais ma fierté m’empêche d’arrêter, même quand je m’enfonce une grosse écharde sous l’ongle. Ne pas montrer de larme au vilain monsieur. À peine les pieds sur la rive, il fait demi-tour sans demander son reste. Je m’assois une minute sur une roche pour observer la vue, et attendre que mes bras ne soient plus tétanisés.

        Je commence à monter les “quelques” marches. Des poubelles débordantes de bouteilles vides et sacs de chips m’agressent. Touriste, mettons une chose au clair. C’est bien plus simple pour toi de rapporters tes déchets en ville (puis en plus, une bouteille vide est moins lourde qu’une bouteille plein, je dis ça de même), plutôt que pour le ramasseur qui va faire le tour de toutes les poubelles et les ramener à la force de son front.

        Là-haut, il y a un centre de retraite de yoga au milieu de rien. Puis un peu plus loin, la pagode. Un très grand édifice tout blanc, avec ses drapeaux qui claquent au vent. Le rouge symbolise le feu, le bleu le ciel, le jaune la terre, le blanc le vent et le vert l’eau. Les prières inscrites dessus bénissent l’endroit. Quand le tissu se désagrège et part au vent, c’est l’air puis la terre qu’elles baptisent. Il faut enlever ses souliers pour monter les dernières marches, celles qui sont toutes douces pour les pieds et qui nous font accéder à cette blancheur apaisante. En faisant le tour, on passe devant des tableaux et des statues de Bouddha, qui m'impressionne toujours par sa prestance et sa sérénité. Il est interdit de parler fort, et un garde tient le rôle bibliothécaire en faisant chut! à ceux qui s’oublient. Il y a beaucoup de visiteurs chinois, et j’arrive à la réalisation qu’ils ont deux catégories de femmes; celles qui ont de vraiment belles toilettes pour des voyageuses, et celles qui s’habillent en pokemon.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Demain, je pars pour six jours de randonnée, sur le Mardi Himal. Je dois aller au QG des 3 sisters pour aller rencontrer ma guide, Durga. On a d’abord un peu de mal à se comprendre, mais j’ai un bon pressentiment; même si elle essaie de me faire peur en me parlant d’une grande réserve de pansements à avoir dans mon sac, du mal d’altitude, de guêtres, crampons et poncho. Elle me prête les deux premiers, mais il faut que je magasin un poncho bien efficace. C’est encore d’autres affaires à faire rentrer dans mon sac! Je ne veux partir qu’avec mon petit sac à dos de 26L. Moins on porte, plus c’est facile; c’est aussi un défi personnel d’emporter juste l’essentiel. Ça va prendre du temps et des mousquetons pour tenir ce qui dépasse, mais j’y arrive!

Prête pour l’Annapurna.

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Mardi Himal

MARDI HIMAL

LE PLUS BEAU PAYSAGE DU MONDE

Mars 2019

JOUR 1

 

        Et c’est parti pour le Mardi Himal. J’ai choisi cette randonnée parce qu’elle va me faire aller assez haut et assez loin dans la montagne, mais ne fait pas partie des plus fréquentée. Beaucoup de marcheurs se lancent seuls sur les sentiers, armés de cartes et boussoles, et s’en sortent très bien. Mais je m’achète de la sécurité en engageant une guide, Durga, qui de plus travaille pour l’organisation qui me tient à cœur, les 3 sisters.

        Mon premier défi de faire rentrer tout le nécessaire dans mon sac 26L est accompli (si on ne tient pas compte de quelques affaires pendant par un mousqueton), mais je le trouve trop gros et trop lourd. Quand j’arrive devant Durga, elle se surprend de la petitesse dudit sac. C’est qu’il doit être correct finalement.

        Une voiture nous emmène à Kande, à une heure de nids de poule de Pokhara. De là, on commence à marcher. Le monde regarde Durga avec curiosité. C’est encore peu commun, une femme guide; et elle me dit qu’ici ça va encore. Quand elle travaille dans d’autres régions, les habitants se frottent les yeux pour être sûrs de ne pas halluciner. Elle travaille pour les trois sœurs depuis onze ans. Elle a grandi dans un village à l’ouest du pays; sa grande sœur est fermière, un de ses frères étudie en médecine à Katmandou et un autre l’ingénierie au Texas (il a gagné la loterie de la carte verte). Elle a 33 ans et doit faire financièrement son année durant les quatre mois de saison touristique, entre la saison des pluies et l'hiver qui rend les monts inaccessibles aux non professionnels. On s’arrête à l’Australian Camp (l’origine du nom n’est pas si claire) pour un excellent lunch avec vue sur les montagnes. Je commence à apprécier le Nepali Tea, un thé épicé noyé dans du lait de yak (ici on respecte la vache). D’un goût étrange les premiers jours, je le trouve maintenant réconfortant, une belle récompense après un effort.

        On arrive à Deurali, notre première étape, à 14h30. Je suis contente de passer la nuit au seuil du mal des montagnes à 2100 mètres. Il me fait un peu peur; j’ai déjà passé deux jours à bout de souffle et d’énergie au Pérou à cause de lui, et j’ai pas envie d’écourter ma promenade pour ça. Durali est un petit complexe hôtelier. Des tables à pique-nique permettent de profiter des derniers rayons de soleil chauffants. Durga me nomme les montagnes blanches qui font leurs belles devant nous et me parle un peu de son pays. Les emplois gouvernementaux paient bien, mais n'offrent pas de retraite. À propos du fameux point rouge sur le front, les femmes mariées le porte soit entre les sourcils, soit à la limite des cheveux, pour indiquer leur état civil. Après une visite au temple, hommes et femmes se font poser une pâte collante au milieu du front, pour la protection. Après le tremblement de terre de 2015, elle n’a presque pas eu de travail pendant un an. Je lui demande si j’aurais dû engager un porteur, comme on me l’a offert. Elle me répond que même si le travail est ingrat, le monde est toujours content de travailler. À savoir que la manière de porter ici est en entourant le sac d’un foulard, et de faire levier avec son front. Durga a commencé comme porteuse, tout en ayant sa formation de guide. Elle porte maintenant un gaine et son coup craque à chaque angle prononcé. C’est difficile à accepter pour moi, mais c’est ça leur vie, et c’est ce qui lui a permis d’être indépendante maintenant, et de faire un métier qu’elle a vraiment l’air d’aimer.

        Quand vient le temps du repas, je découvre toute la magnificence du Dal Bhat, plat traditionnel népalais. Il est en plusieurs parties: du riz, une soupe de lentille, des épinards, un curry de pommes de terre et un chutney de tomate ou mangue. Chaque maison à sa recette. À noter qu’en tant que végétarienne, le Népal est une bénédiction. Il y a rarement de la viande au menu (surtout parce qu’elle coûte cher), et ce pays sait vraiment comment apprêter des légumes et des céréales. Dès qu’un des composants est fini, quelqu’un arrive avec une casserole pleine et remplit notre assiette. C'est très dur de s’arrêter.

        Quand la fraicheur s’installe, on se regroupe dans un petit cabanon avec un groupe de russes et un autre allemand. On s’installe tout autour d’un feu, au-dessus duquel on fait suspendre notre lavage quotidien. Les guides, en échange du gîte gratuit et du couvert à moitié prix, n’ont de chambre que s’il en reste après le dernier client arrivé. Sinon, ils se partagent le cabanon et la cuisine, ne mélangeant évidemment pas les hommes avec les femmes.

 

 

 

    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 2

 

        Quand on se couche tôt, on se lève tôt. Mes yeux sont grands ouverts à 6h du matin, et je sors tenir compagnie au soleil qui se lève. Quelques locaux travaillent déjà à installer leurs étales. J’adore voir se dessiner progressivement la silhouette des montagnes, puis les rivières, les chemins, le détail des arbres. L’atmosphère reproduit une à une les couleurs de l’arc-en-ciel. Les trois russes se lèvent et le ohm de leur yoga matinal se mêle au chant des oiseaux. Le vent froid se fait remplacer par la chaleur du soleil.

        Départ à 8h. Je suis Durga dans sa lente marche dans la forêt, coupée par de nombreux arrêts. Je dois faire un effort pour ne pas lui marcher sur les pieds, mais je sais que ce rythme facilite l’acclimatation à l’altitude, et c’est aussi un bon exercice de lâcher prise et de prendre son temps. La forêt nous offre des orchidées sauvages, des magnolias, des rhododendrons, et des woodpeckers qui creusent des arbres, provoquant une averse de copeaux. On s’arrête à une toute petite cabane qui tient lieu de cantine, que tu ne peux trouver que si tu as une carte ancestrale. Là on me sert une soupe de nouille qui sort d’un sachet, mais dans laquelle je trouve des saveurs exquises. 

        En début d’après-midi, une fine pluie commence peu de temps avant notre arrivée au Rest Camp, à 2600 mètres. Elle laisse rapidement sa place à un orage, qui m’enferme dans le petit gîte, où la seule autre touriste est une chinoise qui n’a pas envie de parler. Je n’ai pas emporté ma tablette, pour me concentrer sur le moment présent. Mais mon moment présent, c’est d’être entourée des employés de la place qui ne parlent pas anglais, deux guides collés à leurs téléphones et une chinoise en introspection. Il est 15h et il reste quatre jours, ça va être long. Je rationne vite mon livre qui, à ce rythme, sera fini demain, et j'écoute des podcasts. Durga vient me chercher pour le souper. Je commande une purée sur le menu, au grand désarroi du cuisinier qui n’en a encore jamais fait, mais refuse que je change. Il s’excuse de la mixture laiteuse sans goût qu’il finit par m’apporter, mais il est tellement gentil que je fais mine de trouver ça délicieux. En plus, sachant que tout est monté à front d’homme, je me fais un devoir de finir mon assiette. C’est là que Durga sort des cartes à jouer. Elle m’apprend des jeux, et l’autre guide se joint à nous. En quelques minutes, c’est comme de vieux amis qu’on passe la soirée à essayer de se battre et à applaudir les bons coups des autres.

        Je pars me coucher quand le cuisinier apporte du Dal Bhat pour les employés et guides (qui doivent toujours attendre que les clients aient fini). Le spectacle est fascinant: ils mangent tous de leur main droite, malaxant le riz avec les autres éléments. Le concerto de bruits de succions de bouches est difficile pour une occidentale à qui on a appris l’importance de manger la bouche fermée, comme d’une loi fondamentale à la rotation de la Terre et à la vie elle-même. Pas ici.

 

JOUR 3

 

        Je ne me sens pas très en forme au matin, mon ventre est bougon. Je ne savais pas que ça se produirait quand on m’a demandé hier soir ce que voulais comme déjeuner. Dans ta face le pain tibétain bien gras, un curry de haricots, des oeufs brouillés et du thé noir. Je pense très fort au front du porteur, mais les dernières bouchées sont impossibles. Cependant le ciel est bleu profond, le Fishtail (ma nouvelle montagne préférée) se montre dans toute sa splendeur, et j’ai foi en l’immodium.

        Heureusement on a une petite route aujourd’hui. Tant mieux, parce que je ne sais pas si c’est l’altitude ou le manque de sommeil, mais chaque pas est difficile. La boue n’arrange rien. Je me concentre sur les arbres, les fleurs; un chien joyeux nous suit un temps. Les arbres sont couverts de lichen, ce qui me fait penser à la traîne d’une robe de bal. La nature est chic. Coup de théâtre, la chinoise peu bavarde vient me voir quand on se croise à un arrêt, et se présente comme Chelsey et me fait profiter de son cinq minutes quotidien d’échange culturel.

        Arrêt à Low Camp, qui dévoile un spectacle troublant. Pour la construction d’un nouvel édifice, un homme fait des allers-retours dans la forêt pour rapporter de grosses pierres dans sa hotte de bois, accrochée à ses épaules. Trois hommes taillent ensuite les pierres pour leur donner la forme de briques. Un travail de titan.

        C’est Holi aujourd’hui, le festival des couleurs. Des marcheurs descendant du gîte, les visages fardés de peinture, me donnent espoir que je vais pouvoir un peu profiter des célébrations. J’étais un peu déçu quand je me suis rendue compte que ça allait tomber pendant ce trek.

        Des tas de neige commencent à se faire voir, et l’air est de plus en plus froid. On va passer la nuit au Middle Camp, à 3225 mètres. J’ai la tête un peu compressée. J’avais l’intention de continuer à monter un temps, pour redescendre et ne pas dormir au maximum d’altitude atteint dans la journée, comme c’est recommandé. Mais la grêle s’en mêle. J’ai hâte de célébrer Holi, mais les visages ne sont pas à la fête quand on arrive. Une catastrophe s’est produite en début d’après-midi; un touriste japonais a fait une chute entre High Camp et Viewpoint. Après un temps de recherche, son corps a été retrouvé inerte. Les guides semblent à la fois attristés et habitués. L’ambiance est au recueillement. Des guides jouent aux cartes, pour l’argent (temporairement matérialisé par des graines), pendant que je lis, écris et fais une sieste. Durga me confirme qu’elle ne me fera prendre aucun risque. Si les conditions ne sont pas bonnes, on fera demi-tour.

 

 

JOUR 4

 

        Encore réveillée aux aurores, je marche dix minutes pour atteindre Panoramic Camp. C’est drôle comme chaque jour on arrive au gîte dans un brouillard épais qui nous isole, et chaque matin je me réveille sous un ciel complètement dégagé, qui surplombe un panorama himalayen. Je croise des allemands rencontrés à Deurali le premier jour, et on observe ensemble Fishtail, plus proche que jamais, sortir de la pénombre et capter petit à petit les rayons du soleil. Le Fishtail, de son vrai nom Machapuchare, s’élève à 6993 mètres. Il serait la demeure de Shiva, selon l’hindouisme. Considéré comme sacré, il est interdit de le grimper jusqu’au sommet. Ce qui n’a pas empêché certains alpinistes de s’en approcher. Je me retrouve un temps seule avec lui, les allemands étant partis déjeuner. Je prends une chaise et m’assois face à l’immensité. Durga m’a demandé si j’avais déjà été dans un endroit pareil. La montagne, je connais. Mais des sommets à perte de vue, à 360 degrés, jamais. Mon cerveau n’arrive même pas à intégrer tout l’espace que ça représente.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Après un autre bon déjeuner, on commence à marcher. On en a fini avec la forêt; on longe maintenant des crêtes au panorama époustouflant. On arrive vite à High Camp, à 3550 mètres, où on pose nos affaires et faisons une pause nepali tea. On se pare de nos guêtres et crampons, puis on part pour le premier point de vue (il y en a trois). On a de la chance, le ciel met du temps à se couvrir aujourd’hui. La montée se fait au son des hélicoptères qui ravitaillent le camp de base de l’Annapurna (ABC), endommagé par une avalanche il y a dix jours. Tous, sauf un, que l’on voit décoller du deuxième point de vue. Il a apporté une pelle et un brancard à trois hommes que l’on croise. Ils parlent un moment avec Durga dans leur langue. J’ose imaginer ce qu’il se passe, mais ils ont l’air de bonne humeur et rient en se quittant, alors je ne sais pas. Mais quand ils partent, elle me confirme qu’ils vont chercher le corps du japonais. Ils l’ont veillé toute la nuit pour éviter qu’un animal ne joue avec. L’hélicoptère les attend un peu plus bas, pour retourner à Pokhara. C’est surréel. On parle de montagne avec Durga, je lui raconte l’accident qui a emporté mes amis il y a bien longtemps. Elle traite l’information comme pour le japonais; elle m’écoute, mais ça fait partie de son quotidien. Les accidents. En montagne ou ailleurs. Il est tentant de se barricader, mais au final, avec de la prudence, du bon sens et de la chance, ça vaut le coup de sortir.

        On pense à rebrousser chemin, mais on décide de continuer, doucement, prudemment.  On fait la rencontre fortuite d’un mystérieux bonhomme de neige aux yeux de tomate. Sur le coup je trouve ça drôle; après coup, je me demande qui l’a fait. Il a l’air récent… On n’ira pas jusqu’au dernier point de vue, il est temps de retourner au camp.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Les guides sont comme les gardiens et gérants de la montagne. Ou bien ses lutins. Dès qu’on en croise un autre, Durga et lui se racontent les conditions climatiques, le terrain, l’ambiance. On se regarde entre clients sans rien comprendre. Le népalais n’est pas une langue qu’on prend en option à l’école. Quoi qu’ils se disent, ils finissent toujours en riant. 

        Je passe l’après-midi à jouer au rami avec les guides et cuisiniers. Je ne comprends rien à ce qu’ils disent, mais arrive parfois à intervenir. Je suis allée au plus haut de cette randonnée. Je suis à la fois soulagée de ne plus me méfier du froid et de l’altitude, mais aussi triste de cette fin de conquête. Je regarde les tenanciers fabriquer de l’eau en faisant fondre de la neige dans des chaudrons posés sur le poêle. Ce poêle, présent dans chaque camp, et qui sert surtout à réchauffer les népalais cérémonieusement assis autour, emmitouflés dans une couverture.

 

 

JOUR 5

 

        L’air est tellement humide en haut, que je me réveille dans des draps gorgés de rosée. Rien ne va m’empêcher de profiter de mon dernier lever de soleil en altitude. Y’a pas à dire, une montagne enneigée est ce qu’il y a de plus beau au monde. Et  plus encore quand c’est l’Himalaya! Ça vaut le froid, l’humidité, l’absence de douche depuis trois jours,et du touriste russe qui nous suit et se plaint d’à peu près tout.

        On vise vers le bas, direction Kalamati à 1600 mètres. J’ai un peu peur pour mes genoux, mais Durga me promet une belle auberge. La descente, sans étonnement mais quand même, va beaucoup plus vite que la montée. En un rien de temps on dépasse Middle Camp, puis Low Camp. On retraverse un lieu de carnage, aux centaines de plumes d’oiseaux, sans corps, et de laine de mouton abandonnée. Les tailleurs de pierres taillent toujours leurs pierres. Pause repas à Rest Camp, qui paraît un lointain souvenir; et après Forest Camp, on bifurque. Ça n’a pas pris long pour que la neige devienne de la boue, puis de la terre sèche. L’humidité froide devient chaude et lourde, et on perd des épaisseurs. On croise des buffles aux yeux bridés, et des enfants qui n’ont qu’une demande, du chocolat. On traverse des villages, aux habitants toujours autant étonnés de voir une femme guide, des rizières et autres jardins. C’est un tout autre monde. Les enfants sont encore le visage plein de Holi, et une petite fille me lance un baiser avec la main quand je lui donne la demie-plaque de chocolat qu’il me reste. Comment ne pas fondre?

        L’auberge est, comme promis, un paradis. Je la partage avec des hollandais forts sympathiques. On savoure le doux soleil de fin d’après-midi qui sèche nos cheveux enfin lavés, en sirotant un thé face à la vallée. Je joue à cache-cache avec l’enfant de deux ans des propriétaires, que le russe a décidé d’éduquer. Toujours une bonne idée de se mêler de l’éducation des enfants des autres. Même s’il n’a rien laissé paraître, j’ai partagé la joie de son guide quand le russe lui a demandé s’il était possible de rentrer directement à Pokhara, au lieu de dormir à Kalamati. Ma bonne entente avec Durga me met dans les confidences de ses collègues. Il n’en peut plus de ce groupe et se fait une joie d’organiser ce retour précipité. 

        Bien que triste de ne plus être dans l’atmosphère rugueuse des camps de montagne, on parle avec Durga des petits conforts qu’on est contentes de retrouver, comme par exemple, pour moi, un vrai bol de toilette. Durga me confie qu’elle préfère les toilettes turques, car elle n’aime pas la petite goutte qui remonte parfois des bols. Je suis d’accord, mais quand même. Autre différence culturelle, le reniflement. Un népalais ne se mouche pas. Jamais. Il renifle bien comme il faut, puis se racle la gorge autant de fois que nécessaire pour en sortir le plus complet crachat. Ce son est, pour moi, le Népal.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 6

 

        Aujourd’hui, quatre heures de “nepali flat”, c'est-à-dire une succession de montées et descentes à travers des villages. Une vieille dame s’approche de nous et bénit Durga. Lors de son dernier passage, elle avait croisé cette femme, malade et ayant du mal à respirer. Durga lui a laissé des médicaments qu’elle avait avec elle, et maintenant la femme va mieux.

          On s’arrête à Lwang, dans la plus charmante auberge. Durga m’a prévenu en s’excusant que ce serait Dal Bhat matin, midi et soir, mais étant le plus succulent de tous ceux que j’ai mangés jusque là, je ne suis pas désolée du tout. 

       Des centaines de vieilles marches, avec ce qui nous semble être nos très vieilles jambes, nous mènent à un champ de thé, qui s’étend sur d’impressionnantes terrasses de culture. On s’assoit, on relaxe, et on profite de la vue sur la vallée. On aperçoit le High Camp, loin là-haut. Difficile de croire qu’on y était il y a deux jours. La vie peut difficilement être plus paisible.

        En descendant, on croise des femmes qui lavent leur linge et leurs corps à une fontaine. Depuis que je suis dans ce pays j’ai peur de choquer avec mes épaules nues, et voilà qu’une femme se savonne les seins à l’air au milieu du village. D’un autre côté, cela veut dire qu’elles n’ont pas de quoi se laver chez elles, de mieux que ce mince filet d’eau qui coule d’un mur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 7

 

        Je me fais réveiller à 5h par l’homme de la maison, qui fait une sorte de spaghetti de riz et maïs, avec une machine qui ressemble à un rouet qui file la laine. Plus tard, il fait sécher ses pelotes au soleil, sur des feuilles de palmier.

        On attend un jeep à l’arrêt de bus du village. On est entourées d’enfants prêts pour l’école, en uniforme à manches longues et collants de laine pour les filles. Moi je transpire déjà en tee shirt. En tant que touriste, j’ai la place privilégiée derrière le chauffeur. Je ne partage la banquette qu’avec trois femmes et deux enfants. Dans la boîte à l’arrière, un va-et-vient d’enfants, adultes et personnes âgées. Les enfants, que j’élis les plus beaux du monde, ont tous une sucrerie à la main, où un sac de nouilles en sachet qu’ils mangent crues. 

 

 

         Arrivée à l’auberge des 3 sisters, ma chambre n’est pas encore prête. Alors Dikkie, l’une des sœurs, me fait la conversation pendant que j’attends. Elle est toute émoustillée, car un “Hollywood Hero” a passé la nuit dans l’auberge. A Hollywood Hero!!! Bien entendu, elle ne connaît pas son nom, mais me dit que dans une heure, il sera dans l’entrée pour prendre la voiture qui l'amène au départ de son trek. 

You should meet him! He works for movies like you! He likes to walk too! 

C’est comme écrit dans les étoiles Dikkie. Mais, de qui on parle? 

Elle finit par trouver une photo dans son téléphone, qu’elle a fait prendre d’eux deux, collés comme de bons amis. Dikkie, et Alexander Skarsgard. Aussi connu sous le nom de Tarzan, dans le film éponyme. 

Ok Dikkie, là je me suis pas changée depuis six jours et je meurs de faim, alors peut-être plus tard. 

Tu as faim ? Tu veux quoi, poulet ? Boeuf? 

Je rêve d’une salade.

Une salade?

Oui, du frais plein de vitamines.

Ok, ta chambre est prête, va te changer et je vais faire des courses.

 

        J’ai jamais rencontré Alexander Skarsgard, mais je suis sûre qu’on aurait eu plein de choses à se raconter.

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Pokhara arrière pays

POKHARA

L'ARRIÈRE PAYS

Mars 2019

        Les cafés et restaurants qui s’enchaînent au bord de l’eau m’avaient un peu rebutées en arrivant. Mais après six jours en montagnes, leurs atouts me parlent, le temps d’une journée détente. Le lendemain, mes jambes et ma tête redemandent de l’action, alors je m’aventure un peu plus loin dans la ville. Je vais d’abord au bureau d’immigration, pour étendre mon visa qui finit deux jours avant mon départ. Ayant eu quelques ennuis de douane par le passé, je ne prends pas de chance. Même si l'extension me coûte presque autant que le visa initial… Mais c’est l’esprit tranquille que je quitte le le bureau et m’enfonce encore plus loin dans la ville. En suivant un joli cours d’eau, je tombe sur une plage de détritus, sur laquelle jouent des enfants. J’ai d’abord pensé qu’ils cherchaient des matières ou trésors, mais non, ils jouent à chat, comme on le ferait dans un parc au gazon bien tondu bordé de fleurs. La plage sépare la rivière de maisons faites de tôles et de ficelles. Les femmes lavent du linge dans l’eau, et les hommes, je suppose, travaillent quelque part. Les enfants rient, et ces habitations, qui s’apparentent à un bidonville, inspirent la sérénité. C’est quelque chose qui me frappe depuis que je suis au Népal. Le monde a l’air de vivre de rien, dans rien, avec rien, mais arbore (presque) toujours un sourire honnête et communicatif. Soit ils ont trouvé la paix intérieure qui manque tant aux pays plus industrialisés, soit ils sont maîtres du paraître. J’ai envie de croire en la première réponse.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Pokhara est une très grande ville. Les maisons colorées détonnent de l’univers poussiéreux du pays. J’arrive au musée international de la montagne. C’était un point que je m’étais fixé pour avoir une direction plus qu’une destination, mais elle est très bien choisi. C’est un grand complexe, au milieu de rien. Il explique l’histoire et la géographie des dix sommets de plus de 8000 mètres d’altitude (sur quatorze dans le monde), qui s’élèvent dans l’Himalaya, et des alpinistes qui les ont “libérés” (la première personne qui accède au sommet d’une montagne la libère apparamment). Des vitrines exposent des artefacts de ces ascensions, la plupart accomplies dans les années 1950s, comme une pré course vers la Lune. La première femme à avoir gravi l'Everest, en 1975, est la japonaise Junko Tabei, qui a continué sa carrière en gravissant tous les plus hauts sommets de chaque continent entre 1975 et 1992. Des pulls en grosse laine, crampons acérés et lourds, sacs à dos rustiques et photos de pieds gelés et mains à la peau déchirée agrémentent des récits d’exploits et de persévérance. L’évolution technique de la discipline est prodigieuse, et je n’en suis que plus admirative de ces hommes et femmes qui bravaient ces beaux monstres dans des conditions extrêmes, et de l’équipement parfois plus que sommaire. Le musée rend hommage aux sherpas, ces locaux de l’ombre qui guidaient les expéditions et menaient les alpinistes devant le feu des projecteurs. Ils savaient s’orienter, porter et parler plusieurs langues.

        Une section donne des explications sur la géologie de la chaîne himalayenne. Une fois qu’on le sait c’est évident, mais je n’y avais jamais pensé. L’Inde actuelle s’est détachée du continent africain il y a plus de quatre-vingt millions d’années, pour s’enfoncer dans la plaque eurasienne, créant ainsi la fameuse chaîne de montagnes. La plaque s’enfonce encore de cinq centimètres chaque année, d’où les fréquents tremblements de terre. Ça explique aussi la présence de fossiles marins dans les sommets d’un pays bordé par aucun océan.

        Une partie plus ludique catalogue la faune et la flore de la région, et nous offre des reproductions un peu comiques d’un léopard des neiges et du yéti.

 

      Sur mon chemin du retour, je m’arrête dans une mini-boutique (comprendre un gros placard qui expose le plus de denrées possibles) pour étancher ma soif soudaine de soda. L’idée était de le siroter en marchant, mais quand je passe commande à la madame qui règne sur le placard, elle me dit “sit”. Ok d’abord, et je prends place sur un des tabourets à l’avant. À ma gauche, un étalage de samoussas faits maison me fait de l'œil. Bien joué madame. Elle m’en sert un avec une sauce piquante aux fruits que je raclerais avec mes doigts s’ils n’étaient pas si sales. La tenancière s’assoit à côté de moi et on regarde ensemble la vie passer: les bus scolaires, les motos, les hommes qui se tiennent par la main (tout à fait anodin ici), les drapeaux qui flottent…

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Kande-Pokhara

TREK KANDE-POKHARA

Mars 2019

 

 

JOUR 1: KANDE-BADHAURE

 

        Ben et Elsa avaient pensé me suivre sur le Mardi Himal, mais six jours de randonnée leur faisaient peur; alors ils sont partis pour Poon Hill, une marche plus relaxe, se disant qu’ils feraient demi-tour quand ils seraient fatigués. Dix jours plus tard, ils sont toujours en pleine forme et me proposent de les rejoindre. Ils ont trouvé un chemin qui rejoint Kande à Pokhara en quatre jours de marche.

        Trois bus colorés m’amènent à Kande, le point de départ pour le Mardi Himal. Je suis plus sereine que la dernière fois; je n’aurai pas à affronter le mal des montagnes puisqu’on n’ira pas très haut, et mon sac est un peu plus léger sans les crampons. Je les attends quinze minutes, dans ce regroupement  de stands de vivres et de tibétains vendant des bracelets. Ils ont du mal à comprendre ce que j’attends. Tu vas vers Pokhara? Oui et non. Vers la montagne? Non. Ben et Elsa ont passé la nuit à l'Australian Camp, à une heure de marche. À leur arrivée, on se pose quelques instants pour étudier la carte de la région que j’ai trouvée la veille. Comme dans le temps, avant les applications. Les lignes sinueuses aux épaisseurs réglementées par une légende dans le coin nous racontent ce qu’on doit faire. Notre première étape est Badhaure et pour ce, on s’enfonce dans la forêt, loin de l’agitation commerçante. Assez vite on se retrouve sur une plaine, où on s’arrête régulièrement pour observer un des angles du 360 degrés de panorama, pendant que les vautours à grande envergure planent au-dessus de nos têtes. Le Fishtail est toujours aussi splendide. Les vallées s’étendent jusqu’à flanc de montagne. On se raconte nos derniers jours, les camps dans lesquels on a passé nos nuits, nos impressions sur la végétation, les visages des paliers d’altitude.

        Bhadaure est en effervescence à notre arrivée. La place du village est remplie de monde visiblement content de participer à l’événement, mais on ne comprend vraiment pas de quoi il retourne. Quand on trouve une terrasse prête à nous nourrir, on se renseigne sur les festivités. Il s’avère que c’est jour de paiement de taxes aujourd’hui. Les habitants viennent s'acquitter de la facture, pendant que le représentant, ou élu je ne sais pas, explique toutes les améliorations qui seront apportées grâce à cet argent. On oublie trop souvent le but des taxes.

        On remonte un peu pour aller à une auberge qui a été recommandée à mes camarade, et je remercie le bon samaritain qui a fait la suggestion. Elle est absolument charmante, avec vue sur le village et la chaîne de montagne. On passe l’après-midi assis dans l’herbe, un thé masala à la main, tantôt jouant aux cartes, tantôt observant les montagnes. Je peux voir toute ma randonnée de la semaine dernière et je la trouve impressionnante. On est les seuls pensionnaires, aux petits soins du couple propriétaire. Dans l’après-midi, la femme va cueillir des branches d’épinard dans le potager pour le Dal Bhat du soir, qu’on déguste sur la tapis de lumières scintillantes que forme le village. Et on dort paisiblement.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 2: BADHAURE-PANCHASE BHANJYANG

 

        On observe le lever de soleil sur le Fishtail et l’Annapurna south. Le village se lève au son des enfants qui jouent avant d’aller à l’école, d’un flûtiste, d’un tracteur, des coqs et des oiseaux. On étudie encore notre carte, comme un plaisir retrouvé d’observer une région, de décider où aller et de trouver son meilleur chemin.

        Depuis notre auberge, on voit une stupa qui nous donne envie de la voir de plus près, et elle est presque sur notre chemin. Pour ce, direction Tamagi. En s’approchant de la stupa, on dérange toute une famille de singes que l’on voit sauter dans les airs, déployant leurs bras disproportionnés qui assurent leur atterrissage.  L’un d’eux reste pas loin pour nous observer, le temps qu’on profite un peu de l’endroit. T’inquiète, on reste pas longtemps. La pagode du village de Tamagi a un bon gros bouddha en son centre, qui fait face aux élévations himalayennes. Les drapeaux claquent au vent et les enfants nous demandent du chocolat. Un village typique.

        S’ensuit neuf cents mètres de dénivelé de vieilles marches en vieille pierre. À de nombreuses reprises on pense atteindre le sommet, pour faire face à une déception encore plus pentue. Être trois nous permet de nous motiver, chacun notre tour, de garder un bon rythme sans céder au désespoir. On se questionne: pour qui ces marches ont-elles été construites? Et par qui? Chacune n’est qu’un énorme bloc de pierre d’un mètre le large, qui a dû être transporté, puis posé avec précision, chaque marche permettant d’aller poser la suivante. Ça a dû prendre des mois, voire plus.

        Notre carte indique une auberge en haut de Panchase, et on se met à rêver d’une bonne soupe avec vue. L’attente grandit avec la montée, et l’horreur de découvrir l’endroit fermé nous laisse abasourdis quelques instants. Mais on continue le long de la crête, le temps de penser à notre affaire. Les lieux de recueillement qui ponctuent tout trajet en montagne sont à l’abandon. Visiblement, personne ne passe par ici; notre soupe tant espérée s’évapore d’elle-même. On trouve un banc, et on sort tout ce qui nous reste de snacks. Au menu, dattes séchées, biscuits secs et cake aux fruits chimique, gardés au frais par un petit vent revigorant. Pour le digestif, Ben sort une bouteille de rhum local bien sucré. Il faut finir qu’il dit, pour alléger le sac.

        Panchase Bhanjyang est plus bas. Ça va vite, mais mes genoux ont vraiment hâte d’en finir avec ces marches. On peut faire le tour de ce village fantôme en quelques minutes. Mais tout ce qu’on veut, c’est s'asseoir avec un bon thé massala, et repenser à notre journée. On se décrasse avec de l’eau chauffée dans un seau. On est heureux. Le soir, la mama de l’endroit est attentionnée avec ses pensionnaires, et on l’aime immédiatement. Elle nous dresse une table avec des autrichiens et des australiens qui passent aussi la nuit ici. Le Dal Bhat est encore une fois une merveille, et la conversation animée et intéressante.


 

JOUR 3: PANCHASE BHANJYANG-BHUNDI

 

         On prend le déjeuner dans la cuisine, sur des minis tabourets, pendant que mama cuit des chapatis et omelettes sur son mini four à bois. Ça sent le bon feu. La discussion tourne autour de la Malaisie et des Philippines (rajout sur ma liste).

         Après les marches d’hier, on savoure la promenade en forêt qu’est notre étape d’aujourd’hui. Peuplée d’orchidées sauvages et d’oiseaux aux chants tropicaux. Quand on domine une vallée, on se demande combien d’arbres peut bien représenter la vue... À mi-chemin, on fait une pause dans un pré pour déguster la crêpe de millet que mama nous a cuisinée le matin. On croise des bébé sangsues, qui n’ont pas l’air bien méchantes, jusqu’à ce que le soir, en retirant ses chaussures, Ben s’aperçoive qu’une grosse tache de sang décore une de ses chaussettes. En même temps, il a rien senti.

        La vallée se dessine puis se couvre. C’est un jeu de nuages captivant, mais on est heureux d’arriver avant la pluie. On nous avait parlé de l’auberge Peace Home un peu avant Bhundi, et encore une fois on n’est pas déçus. Elle a à peine un an, et est tenue par un couple avec un enfant de vingt mois, et les grand-parents qui donnent un coup de main. Ils tiennent lieu aussi de dépanneur, et le village défile pour acheter un sachet de pâtes instantanées ou des biscuits. Quand l’averse finit, on part explorer le village. Une application d’Elsa annonce un supermarché pas loin. On est sceptiques, mais ça donne une direction. Il s’agit finalement d’une semi-cabane au bord de la rue, mais qui vend des très bonnes chips massala.

        En apéritif, notre hôte nous fait déguster son rakshi maison, comme le proposent souvent les tenanciers d’auberges. Chaque fois, je redoute ce vin de riz ou millet tiède qui arrache la gorge, et chaque fois je force un beau sourire de gratitude, pour ne pas blesser le distillateur si fier de sa boisson. La pluie se fait de nouveau plaisir, et on la regarde tomber depuis la galerie, en jouant aux cartes. On espère seulement qu’elle aura fini de se déverser demain.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 4: BHUNDI-POKHARA

 

       À mon réveil, la pluie bat son plein. Deux choix s’offrent à nous pour retourner à Pokhara: six kilomètres à pied jusqu’au World Peace Pagoda, ou une heure de bus. En sortant sous la galerie, je vois le bus en question, stationné presque devant ma porte. On est au terminus, et le chauffeur dort dans la chambre à côté. Avec Ben et Elsa, on change d’avis aux trente secondes en mangeant notre omelette avec chapati. Prendre le bus serait tricher, mais marcher sur des roches mouillées pas très sécuritaire… On se décide à prendre le bus quand la pluie s’arrête. Ok, on prend une chance! On plie vite bagage et on part. La chance nous sourit et en deux heures, on arrive au World Peace Pagoda dans une brume enchanteresse. De là, on peut voir toute la ville qui me semble une mégapole après ces quelques jours en campagne. 

       Ben et Elsa descendent tout droit prendre un bateau. Ils ont hâte au confort urbain, mais ça se comprend après quatorze jours de randonnée. Je préfère prendre mon temps, contourner le lac et faire un détour par le village tibétain Tashiling. Il est minuscule et surtout composé de marchands, mais son architecture est belle, et une exposition de photos raconte l’histoire du Tibet. D’après ce qui est écrit, la Chine, après avoir envahi le pays, s’est chargée d’amoindrir au maximum l'identité tibétaine, en envoyant sur ce territoire tous ses réfugiés (de pays étrangers à la Chine). Maintenant, peu de tibétains vivent au Tibet, mais surtout au Népal, en Inde et au Bhoutan, où la croix rouge et le Dalaï Lama ouvrent des écoles et des monastères. Tout ça pour posséder un peu plus de terre?

        En récompense de nos efforts, je retrouve Ben et Elsa au Blind Tiger, un restaurant qui projette des films tous les soirs sur un vieux drap blanc, avec vue sur le lac. J’en ai jamais assez du Dal Bhat, mais ce soir je change avec du spaghetti au fromage de Yak. Miam!

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Temple thibétain

POKHARA

RENCONTRE AVEC LE TIBET

Mars 2019

        Je vais une première fois au monastère Jangchup Cholin toute seule. Le Népal compte beaucoup de réfugiés tibétains, qui ont fui le régime chinois. La plupart se regroupent dans des villages qu’ils ont érigés à leur image. Trois bus animés de musique bollywood m’amènent à un de ces petits regroupements de bâtiments, géométriques, très colorés et imposants. Contrairement au reste de la ville, les bâtisses ont l’air très bien entretenues et ont une présence. Je m’arrête au restaurant au bord de la cour d’école. Je savoure un chow mein en regardant les élèves jouer. De tout petits à adolescents, en robes oranges, crânes rasés, se poursuivent en riant, ou jasent simplement. Des sourires éclatants de partout.

        Il est interdit de prendre des photos de l’intérieur du monastère, alors je prends des notes mentales de sa décoration chargée; un grand Bouddha en or est exposé dans une vitrine, l’air de nous bénir; des guirlandes de néon scintillantes mettent en valeur les mille mini bouddhas (chacun représentant un être ayant atteint le nirvana), les poteaux et plafonds peints aux couleurs or, rouge, vert et jaune, représentent l’illumination et les pèlerinages. De nombreuses cloches et bougies de beurre animent l’espace.

        En sortant, une pluie me fait m’assoir sur les marches à l'abri. Quand elle se transforme en orage violent, un moine vient me chercher et me propose de visiter le monastère. Il me montre les couloirs de classes, les chambres d’invités, où il m’initie brièvement à la méditation, puis m’invite à lire le journal sur un balcon qui domine le village. Quand on doit quitter pour faire place à un meeting, il m’emmène dans la salle à manger, où il passe une heure à me parler de bouddhisme. Le forte présence sonore de la pluie sur le toit en tôle et le bas niveau de la voix du moine me rendent la tâche difficile. Pendant toute une heure, il me parle sans s’arrêter des problèmes de ce monde, qui pourraient être évités par la méditation. Je ne sais pas pourquoi mais je suffoque. Ça me prend toute mon énergie d’essayer de comprendre ce qu’il dit, et il ne fait jamais de pause. Quand la pluie s’arrête, il me propose de rester encore pour la cérémonie dans une heure trente. J’ai très envie d’y assister, mais j’ai aussi très envie de marcher et de me parler à moi-même, alors je décline son offre. Il me fait faire un dernier tour de l’extérieur, puis m’amène à la boîte de donations, où il marque une pause prononcée, jusqu’à ce que j’y mette un billet. Un peu décevant, même si j’apprécie grandement tout le temps qu’il a passé avec moi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

        J’y retourne une semaine plus tard avec Elsa, à l’heure de cérémonie cette fois. L’aura de cet édifice aux couleurs saturées et brillantes ne m’a pas quitté, et je veux mieux le connaître. Une foule de toges oranges s’active sur le parvis. Les adultes jasent, les enfants jouent au ballon. Quand les portes ouvrent, les moines s’organisent en trois rangées se faisant face, de chaque côté de la pièce, laissant un espace au milieu où les esprits vont se rencontrer. Les enfants se placent en arrière. Peut-être ne savent-ils pas encore utiliser les livres de prières non reliés, qui ressemblent à des fiches de recettes de cuisine, disposés sur les rangées principales. 

        Les touristes sont invités à s’asseoir sur un tapis, un peu en retrait, avec une belle vue sur le spectacle. Deux moins repliés dans un coin détendent de longues trompettes rétractables, de celles qui vous font vibrer tout le corps quand un souffle les anime. L’assemblée se met à réciter les prières de manière si désordonnée que s’en est fascinant. De temps en temps des coups de trompettes, cymbales, tambours et des sons de coquillages (responsabilité des enfants) se mêlent à la cacophonie, atteignant ainsi des climax de vibrations. Mais le désordre n’est probablement qu’une façade, puisque tous savent quand marquer des hauts puis des silences en parfaite synchronisation. Les participants claquent régulièrement des doigts, puis s’arrêtent pour manger une bouchée ou parler à leur voisin (de la météo ou des courants d’air de leurs toges probablement). Elsa pense que leur méditation est tellement naturelle qu’ils peuvent faire d’autres choses en même temps. J’accompagne mes camarades étrangers dans leurs tortillements sur nos positions de lotus inconfortables à la longue pour les néophytes, et essaie de trouver le chef d’orchestre de tout ceci. J’en arrive à deux options: soit il a mis sa cape d’invisibilité, soit il est dans l'esprit des moines, vêtu d’un drap couleur corail, crâne rasé et sourire béat.

        Sans crier gare, tous ferment leurs livres de recettes, se lèvent, et quittent. Les enfants reprennent leurs jeux de ballon sur le parvis, la vie reprend son cours, sauf pour nous, qui prenons quelques minutes pour revenir dans la réalité. Ces minutes de silence s’ensuivent d’un partage animé de nos impressions extra-sensorielles, et de nos oreilles qui bourdonnent encore du son du Tibet.

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POKHARA

VOLTIGE ET PAGE D'HISTOIRE

Mars 2019

        Dans les listes des dix choses à faire à Pokhara, il y a faire un baptême de parapente. Depuis le temps que je veux essayer! Sauf que, y’a des jours où j’ai prévu autre chose, puis des jours où la météo n’est pas parfaite, puis des jours où j’ai les cheveux trop sales et je peux pas voler les cheveux sales. Mais quand Ben s’est mis à aimer l’idée et vouloir m’accompagner, je ne pouvais plus reculer. Demain est notre dernier jour en ville, on s’inscrit. Une petite tempête la nuit me fait secrètement espérer que les vents seront trop violents pour décoller; mais au matin, une vraie journée de conte de fée, avec soleil, température clémente et une brise qui ne fait que nous effleurer le visage. En plus d’être nerveuse, la matinée commence bizarrement, par un homme qui frappe à ma porte pour me dire que je vais bientôt rater mon bus, dont j’ai acheté un billet pour demain… Cinq minutes plus tard, on vient s’excuser du malentendu et on s'enquiert d’accepter l'invitation à souper de Dikkie, la sœur qui gère l’auberge. Je me sens importante.

 

        Au bureau, on nous fait signer un formulaire que je préfère ne pas lire. Ben, lui, est ben relaxe. L’attente n’améliore pas mon angoisse, mais la route montagneuse en zigzag de terre de nids de poule pour monter à Sarangkot fait un peu diversion. En haut, mon instructeur personnel me met une combinaison-siège en attendant mon tour. C’est une vraie usine à décollage. Je regarde les binômes décoller les uns après les autres. D’abord, la voile est étalée sur le sol. Puis l’instructeur s’attache à son élève, puis à la voile. Quand un coup de vent arrive, la voile se gonfle et se déploie en un seul élan avec force.

        C’est à mon tour. Je me raidis. Le voile s’étire, nous fait reculer de trois pas, puis on avance vers le vide. L’envolée est étonnement très douce, presque imperceptible. Une fois assise, je me sens comme un oiseau, qui n'a même pas besoin de battre des ailes. C’est l’extase: les montagnes blanches d’un bord, la vallée de l’autre, le lac en dessous, des dizaines d’amis flotteurs tout autour. Puis on commence à monter en effectuant des cercles, et c’est le début du malaise. J’ai jamais été très bonne avec les mouvements circulaires. Je tiens le coup, j’aime vraiment être là-haut, flotter, observer cette région magnifique, mais j’ai le mal de mer. J’essaie de me concentrer sur une chose: les aigles qui planent juste en dessous de nous, le Fish Tail, les autres voltigeurs avec qui mon instructeur jase comme en attendant le bus, Ben qui fait des loopings juste à côté. Attends, y’a trop de choses à regarder, ça marche pas. Mon binôme essaie de me convaincre de voler la tête en bas, mais ce serait la goûte d’eau qui ferait déborder mon estomac. Je sens bien qu’il me prend pour une moumoune, mais je sais qu’il n’aimerait pas tant avoir mon déjeuner dans ses cheveux. Puis il est vite occupé avec son bâton de selfie à prendre des dizaines de photos et vidéos de moi. J’avais oublié que c’était compris dans le prix. Sourire un peu forcé.

        L’atterrissage est aussi doux que le décollage, et assurément réconfortant. Ben touche le sol juste après moi, le visage déformé par un énorme sourire. C’est la première fois que je vois autre chose que son stoïcisme allemand sur sa face, c’est drôle. Je prends le temps de rassembler mes esprits, pendant qu’il déverse sa joie, comme un enfant qui raconte son premier match de hockey au centre Bell. Je ne suis pas aussi expressive, mais je suis sacrément contente de mon expérience.


 

       Venons-en à l’invitation à souper chez les fameuses trois sœurs. J’ai remarqué, lors de mes trois passages inter-randonnées à leur auberge, qu’elles ont une attention particulière pour les femmes voyageant seules. C’est pour elles une belle preuve de l’émancipation de la femme, le travail de leur vie. Elles vivent dans une très grande maison, un peu en arrière de l’auberge, où Dikkie m’accueille. Pendant qu’on boit un jus de fruit sur la terrasse, elle m’explique que seize personnes vivent ici: les trois sœurs, maris, enfants d’un de leurs frères, des femmes qu’elles ont prises sous leurs ailes, et leurs enfants. On poursuit dans le salon, où on nous apporte des crudités, ce que je comprends être d’un grand raffinement. On se fait servir par une de leurs protégées, qui servent de cuisinières et femmes de ménage, en échange du paiement de leur éducation. Dikkie me parle un peu de sa famille; elle a grandi dans un village népalais en Inde, où elle et ses sœurs ont eu le luxe d’aller à l’école. Pendant que les frères faisaient les quatre cents coups, quand ils n’aidaient pas à la ferme, la mère s’assurait que les sœurs travaillent dur à l’école. À la mort de leur père, les filles et la mère quittent la maison pendant la nuit (il était mal vu de voyager sans homme) pour venir s’installer à Pokhara. Elles travaillent dans différents domaines, avant de comprendre que le tourisme est en plein développement. Elles commencent par ouvrir un restaurant, puis une auberge. À force de voir revenir des femmes déboussolées après un trek, par leur guide malintentionné, Nikkie (une des sœurs) décide de partir à la découverte de la montagne, pour devenir guide. Chemin que les deux autres suivent peu après. Aujourd’hui, cent femmes guides travaillent pour elles, et une partie des bénéfices va à différentes ONG auxquelles elles participent pour accroître l’émancipation de la femme. Ce matin, Dikkie a eu des réunions pour développer le programme scolaire des filles, qui est volontairement beaucoup plus facile que celui des garçons. Pourquoi une fille devrait-elle connaître les sciences après tout?

        Après les crudités, c’est le tour de crêpes de pommes de terre, épinard et sauce pickle, accompagnées d’une soupe aux épinards. On monte dans la salle TV, où Lukkie et Nikkie regardent les nouvelles en pyjama. Les protégés défilent pour pratiquer leur anglais sur moi. Chaque fois que je pense qu’il est temps de partir, on remplit mon assiette. En dessert, j’ai un biscuit aux amandes délicieux, et un verre de lait tellement lourd que je n’arrive pas à le finir. Ça fait une heure que je ne sais pas si je suis de trop, ou si ce serait impoli de partir, mais je veux dire au revoir à Ben et Elsa, alors je prétexte la fatigue post-parapente, qui est réelle.

        Merci mille fois les trois sœurs, pour votre accueil, et le partage de votre culture.

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Chitwan

PARC NATIONAL DE CHITWAN

LE DOMAINE DES ANIMAUX

Avril 2019

        Je suis venue au Népal avant tout pour les montagnes; mais quelle ne fût pas ma surprise quand on m’a appris qu’on peut aussi y faire des safaris! C’est au parc Chitwan que ça se passe, à la frontière avec l’Inde. La sortie du bus est tout de suite chaude et humide. Je contourne les taxis; je vais pas très loin et ai envie de découvrir la place. Le soleil alourdit mon sac et pèse sur mes pas sur les rues en terre, mais la végétation capte mon attention. De celle dont on imagine les jungles. Je croise quelques éléphants, mes pachydermes d’amour, mais attachés par la patte, comme des chiens domestiques, avec une niche beaucoup plus grande.

        C’est toute suintante que j’arrive au charmant Evergreen ecolodge, on où m’accueille avec un grand verre d’eau avant même de me demander mon nom. On me confie une cabane en forme de noix de coco, sur pilotis. Si on préfère dormir en dortoir, il y a un bus reconverti un peu plus loin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Je pars à la recherche d’animaux sauvages avec mon groupe de 5 touristes plus un guide. On a choisi l’option pédestre. Elle couvre un plus petit territoire que les jeeps, mais est plus silencieuse, et j’ai l’impression que je vais mieux sentir l’odeur des arbres. L’expédition commence par la descente d’une rivière en canoë. Les explications sont les suivantes: on ne doit pas bouger pour ne pas renverser l’embarcation d’apparence très instable, ne pas faire dépasser nos mains pour ne pas donner des idées aux crocodiles, et je dois enlever ma chemise blanche pour ne pas être confondue avec une proie par les rhinocéros. Les pauvres ont une très mauvaise vue. 

        Les quinze premières minutes sont tendues, puisque le guide n’a visiblement pas bien écouté son propre discours et n'arrête pas de gesticuler. Puis le calme de l’eau finit par nous apaiser. Les crocodiles sont pour la plupart endormis de toute façon, dans des positions qui ne peuvent pas être confortables. À moins qu’il y en ait des cachés… Parfois des masses verdâtres émergent partiellement de l’eau, avant de sombrer tout doucement dans les profondeurs de l’eau brune. Gardons les mains sur les genoux, je me vois mal en capitaine crochet.

        Des rhinocéros sont aussi de la partie, dont un qui angoissent un peu notre guide en entrant dans l’eau pour se rafraîchir. Il fait des signes au moussaillon de ralentir. Ces animaux peuvent atteindre les 40 km/h. Heureusement, l’eau le ralentirait s’il l’envie lui prenait de nous charger. Sourire crispé.

On débarque sur la terre ferme, qui amène ses nouvelles règles: si on voit un ours, on lui crie dessus. Si on voit un éléphant, on lui crie dessus. Si on voit un rhinocéros, on recule doucement. Si on voit un tigre, on est foutus. L’excitation est à son comble, mais s’amenuise au cours des quatre prochaines heures qui ne nous font voir qu’un singe et un daim. Ça fait partie du jeu, dame Nature n’est pas à notre service, et je suis vraiment contente quand je vois des traces de tigre, d’ours, et d’éléphant au sol. Les arbres, eux, ont l’air d’avoir grandis en dansant. Une pause sur une plateforme sur pilotis, qui nous permet de baisser notre garde un moment, permet de manger et de faire la plus belle des siestes, dans une légère brise salvatrice.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Et c’est reparti. Marche en ligne, sans faire de bruit. Je sens la pression dans le visage de notre guide qui veut nous en donner pour notre argent. Mais je savais que le mois d’avril est un peu tard pour les safaris, les herbes sont trop hautes. On peut pas toujours être au bon endroit au meilleur moment. On est un peu plus chanceux en après-midi, en apercevant un troupeau de rhinocéros et leur pas lourd, puis des singes au visage noir et à la crinière blanche, comme des vieux sages.

        C’est sûr que j’aurais aimé voir plus, mais je suis contente d’avoir choisi une option écologique et la moins nocive possible pour l’environnement. Je suis entrée sur le territoire d’autres maîtres, et ils m’ont montré ce qu’ils ont pu.

 

        Kathy, une anglaise rencontrée au safari, me propose de louer des vélos de l’auberge pour aller aux 20 000 lakes. Les dits vélos ne sont plus tout jeunes, et celui de Kathy bloque à deux kilomètres, ce qui nous oblige à rentrer à pied pour en prendre un autre. C’est pas grave, on a juste perdu quatre litres de sueur dans l’histoire, comme un lundi dans le sud du Népal. On repart, se guidant de mémoire du plan dessiné qu’on a observé avant de partir. L’artiste a oublié de colorier la rivière qu’on doit traverser. En vraies aventurières, on se met pieds nus et on avance. On passe par des villages qui ont l’air doux à vivre, puis on arrive au parc. Un premier lac féérique est couvert d’une fine couche d’algues vertes, laissant les arbres se refléter comme dans un miroir. Plus tard, on croise Theresa, de Toronto, aussi accompagnée d’une monture rouillée. Le chemin est caillouteux et nos selles sont aussi confortables que si elles étaient en bois. L’intérieur de mes cuisses me brûle, mon dos crie, même mes mains sur le guidon me font mal, mais on se soutient, aussi parce que c’est vraiment beau et qu’on a pas envie de rentrer.

        Theresa nous fait miroiter un bon stand de nourriture à l’autre entrée du parc, elle n’a pas exagéré. Une femme nous fait asseoir et on la regarde enthousiasmées préparer ces choses étranges. Elle prend une sphère en craquelin, grosse comme une balle de ping pong. Elle y craque un trou, y met une mixture de pomme de terre / chou / oignons / pâtes crues et autres. On y rajoute des noix et de l’eau salée au goût, et c’est absolument délicieux. Ça redonne du courage à nos derrières endoloris pour poursuivre un peu la route à travers villages et rizières.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Le soir on essaie de trouver une salle de spectacles de danse Tharu, mais on abandonne après avoir erré une demie-heure à la lueur de nos téléphones. Kathy, en joueuse de cricket de haut niveau, a repéré un bar en “ville” qui diffuse un match bientôt, et elle ne veut pas le râter. Elle tente de m’expliquer les règles, mais y’a rien à faire, je comprends rien. C’est pas grave, je copie ses réactions de joie et de tristesse selon que le gars a frappé la balle ou pas.

 

        Un gros orage éclate dans la nuit et rend les moustiques complètement fous. Ils ont trouvé le moyen d’entrer dans ma moustiquaire, et ont visiblement quelque chose à prouver. Je pense qu’ils ne sont pas les seuls à avoir trouvé refuge dans mon nid, vus les bruits que j’entends. Je pense aux animaux, de l’autre côté du fleuve. Le tonnerre, bizarrement, résonne comme dans des montagnes, comme s’il allait jusqu’en Inde, puis revenait. 

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Lumbini

LUMBINI

MATERNITÉ DE LA TRANQUILLITÉ

Avril 2019

        Lumbini est une ville assez récente, connue pour être le lieu de naissance de Bouddha. L’attraction principale, le seule à vrai dire, est ce grand parc de trois kilomètres sur un, où l’on peut visiter le temple Maya Devi, du nom de la mère de Bouddha, où une pierre recouverte de plexiglass serait l’endroit précis de la naissance de celui-ci. À la sortie du bus, j’ai juste le courage de errer dans le début du parc, mais je suis tout de suite envoûtée par l’odeur des fleurs, qui sont présentes en grand nombre. Une magnifique odeur de printemps dans un jardin botanique. Peut-être amplifiée par les bordures du parc qui bloquent magiquement la poussière de la grande ville de deux rues au total, en travaux. L’ambiance est paisible, colorée. J’avais hésité à venir jusqu’ici, m’obligeant faire un long détour, mais je sens tout de suite que je vais me plaire ici. J’essaie de trouver un café pour écrire, mais la ville donne l’impression d’exister depuis deux semaines et il n’y a que des hôtels. Je me replie sur la terrasse de mon auberge, qui est finalement bien plaisante. J’y croise Isabelle, une suisse allemande, et Tom, un hollandais, qui étaient à l’evergreen en même temps que moi.

 

        C’est ensemble qu’on part pour une journée dans le parc. Il est divisé en deux parties, le côté est et le côté ouest, séparés par un bassin. À l'extrémité, une world peace pagoda qui domine l’endroit. On commence par le côté est. Différents pays ont érigé, chacun, un temple en l'honneur de Bouddha. Mes préférés vont être le Cambodgien (dont l’architecture et les dessins me ramènent là-bas) et l’Indonésien. On marche de temple en temple, souvent déserts en matinée. Le ciel menaçant donne de la grandeur à l’endroit. Chaque lieu a sa personnalité et son humeur. Les architectures alternent entre extravagance et simplicité. On reconnaît toujours les thèmes bouddhistes et ses couleurs (rouge, vert, bleu et or), mais mélangés aux formes propres aux pays constructeurs. Le palais thaïlandais a la particularité de faire complètement disparaître les nuages noirs coléreux dans les cinq minutes que nous ont pris la visite de l’intérieur.

        La world peace pagoda, tout au bout, donne l’opportunité d’observer le parc en hauteur. On apprécie aussi le fait qu’en dehors des vendeurs de glaces, tous les magasins et restaurants sont regroupés en un seul endroit, laissant le reste du parc dans le calme et le recueillement. Pour la première fois depuis mon arrivée au Népal, la plupart des touristes qui m’entourent sont népalais ou indiens, venus en pèlerinage dans ce lieu saint.

        On poursuit avec le côté ouest. Une fermeture générale des temples de midi à 13h nous permet de nous asseoir dans un coin d’ombre et de profiter de l’ambiance. J’ai eu la bonne idée de préférer mes gougounes à mes souliers, rendant les multiples dévêtements de pieds plus faciles. C’est peau contre sol qu’on visite tous ces endroits, et j’aime ce contact direct. Des fontaines permettent de se nettoyer de temps en temps. Il y a de plus en plus de monde, mais la sérénité se maintient. J’ai l’impression d’être dans un parc d'attractions de châteaux de princesses, à but non lucratif. Enfin presque. Chaque temple a sa boîte de donations que nous ignorons, tandis que les fidèles y déposent des billets religieusement. Ça, plus les dizaines de moustiques que l’on extermine dans le journée nous promettent une réincarnation en crapauds.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Le bouquet final est le temple Maya Devi. 500 RPN l’entrée (pas rien ici), plus un 2$ que paie Isabelle pour avoir le droit de prendre des photos. Personne ne vérifie, mais Tom et moi nous engageons à respecter l’interdiction. Le temple est un grand bâtiment blanc, construit sur des ruines, protégées par des cordes, et par endroit de vitres. C’est ici-même que madame Devi a donné naissance à son célèbre fils en robe orange. Même sans y croire, l’idée de Bouddha impose le respect. Bien qu’on se soit moqué toute la journée des statues le représentant enfant (un visage d’adulte sur un corps de bébé, en train de marcher d’un pas assuré, le doigt en l’air comme pour poser une question en classe), on ne peut qu’apprécier l’idée de cet homme humble et pacifiste. Le jardin est orné à outrance de guirlandes de prières. Les moines sont assis en rond, comme pour se raconter des histoires. Des pèlerins méditent, des touristes, comme nous, s'assoient sur un banc et observent. L’air est chaud, mais le vent est doux et délicat.

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KATMANDOU

LE ROI DES GENTILS

Avril 2019

        Mon père est un anxieux. Ça le rassure beaucoup de me donner des conseils quand je prépare un voyage. Ne parle à personne; fais toi des amis pour ne pas être seule; ne bois rien et ne mange rien pour ne pas attraper la malaria; ne laisse pas ton sac sans surveillance, sinon tu vas te faire mettre en prison, où tu mourras de la malaria. Tout plein de conseils utiles. Mais ce qu’il préfère, c’est quand il connaît quelqu’un dans un rayon de 500 kms de l’endroit où je vais. Entre en scène Binod, un ancien collègue à lui, qui vit à Katmandou. Là il me fait croire qu’il me donne ses coordonnées, juste au cas où j’ai besoin de quelque chose, mais c’est le sous estimer. Deux minutes (j’exagère à peine) après cette conversation, je reçois un courriel dudit Binod, qui me dit que ça lui fera plaisir de m’accueillir si je cherche un endroit où loger. Je lui réponds merci, je retiens l’invitation. Ce que je comprends plus tard de la culture népalaise, c’est que je lui crache en pleine face en n’allant pas directement de l’aéroport à chez lui. J’avais l’intention de le contacter, mais plutôt à la fin de mon voyage. Pour mon arrivée au pays, j’avais envie d’aller en auberge et de m'acclimater tranquillement. Sauf que ça a pas pris de temps avant de recevoir un message de mon père: pourquoi as-tu refusé son invitation? Il se demande s’il a fait quelque chose de mal? S’il m’a offusqué. Déjà, je vexe le Népal. Au final, je lui promets de venir passer quelques jours chez lui avant de prendre l’avion pour rentrer. C’est ainsi que je m’éloigne la boule au ventre des montagnes et de la jungle pour finir mon voyage dans la poussière de la capitale.

        Douze heures de bus pour faire deux cents kilomètres. Ça en dit long sur l’état des routes. Impossible de lire dans ce chaos. Impossible aussi d’écouter de la musique, puisque le chauffeur a décidé de nous divertir en mettant un film à la Jason Statham version bollywood, le son dans le tapis. Ça passe quand même relativement vite. On longe un temps la forêt du Teraï, avant de retrouver la ville petit à petit. Binod m’appelle cinq fois durant le trajet, pour savoir où j’en suis, à quelle heure et où je vais débarquer à Katmandou. Tu es du coin Binod, tu sais très bien que mes questions au chauffeur restent sans réponse. Je poserai le pied en ville quand on me le dira, là où le bus voudra s’arrêter. Je perds un peu patience quand, en attendant au café dont il m’a envoyé le nom, on se rend compte qu’il y a plusieurs café du même nom dans le quartier, et je suis incapable de lui préciser où je suis. Il me dit de passer le téléphone à quelqu’un dans la rue, puis l’interlocuteur choisi au hasard me fait signe d’attendre. Cinq minutes plus tard, un énergumène au masque de chirurgien arrive d’un pas trop rapide pour son âge. Je m’en veux immédiatement de mon impatience. Binod est le chef des gars gentils. Il s'excuse mille fois de la confusion et s’assure que je vais bien. Je suis maintenant sa responsabilité, promesse qu’il a faite à son ancien collègue; je serai rendue en l’état. J’en perds un peu de ma liberté, mais il est impossible de dire non au chef des gars gentils.

     Lui et son homme à tout faire / chauffeur m’emmènent à Thaiba, à dix kilomètres au sud de Katmandou, dans une résidence protégée par une clôture et des gardes. L’air y est pur et silencieux. La poussière est refusée à l’entrée. Le fils de Binod, Bigyan, et sa femme, Sichha, enceinte de huit mois et demi, habitent dans la même rue. C’est eux qui m’hébergent, dans une chambre avec salle de bain privée! Nous prenons tous ensemble les repas chez Binod. Sichha aide la cuisinière à servir. Mon offre d’aider paraît totalement saugrenue. Chacun sa place. La mienne est celle d’invitée. Les deux repas quotidiens (matin et soir) sont des Dalbat, mais toujours avec une petite variante qui fait que je ne m’en lasse pas. 

        Binod aime parler, beaucoup, mais ça va parce qu’il a vraiment beaucoup de choses à dire. Népalais, il a vécu au Sri Lanka, en Arménie, au Cambodge et en Suisse. Il a connu des pays en guerre, la corruption… Un soir où j’étais très fatiguée de ma journée, il est parti dans un (très) long monologue sur la fois où il s’est fait enlever au Sri Lanka, ses négociations avec les Khmers rouges au Cambodge…. j’avoue j’ai perdu le fil un moment, et l’ai retrouvé dans sa description d’une recette à base de noix de coco. Aucune idée de comment il en est arrivé là, et j’ai pas osé lui  demander de recommencer. Il m’explique une autre fois s’être fait opérer de l’appendicite en Arménie en 1993. La cicatrice s’est infectée et il a dû subir des mois de traitement à Genève, où il finit par emménager. Depuis il souffre chaque jour. Il aurait pu se faire soigner gratuitement à New York aux frais de l’ONU, son employeur, mais il ne voulait pas prendre l’argent des réfugiés. Roi des gars gentils j’ai dit. Un jour, il a décidé de revenir au pays, contre indication médicale, parce que le Népal, c’est chez lui. Il est allergique à la poussière, souffre ces jours-ci d’une rage de dent mal soignée, mais il est chez lui. Maintenant à la retraite, il continue d’aider ses compatriotes en participant à divers organismes. Son plus grand défaut, c’est son rire. Il rit tout le temps, même quand il parle de la fois où il s’est fait pointer par des AK-47, ou quand sa femme l’a cru mort quand son avion a été déclaré écrasé par erreur. C’est à cause de son rire, qu’il me dit, que les médecins ne prennent pas ses douleurs au sérieux. Moi je te crois. Une autre histoire!

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CE QUE J'AVAIS MANQUÉ DE KATMANDOU

Avril 2019

        Binod et Bigyan me font un programme pour chaque jour. 

 

        Jour 1: Bigyan et sa femme Sichha travaillent dans le quartier de Thamel, alors je profite de la voiture pour aller en ville et suivre les indications de la journée. Je commence pour le temple Swayambhunath, aussi appelé Monkey Temple. Les singes y sont comme les écureuils en parc Lafontaine; en surnombre, et prêts à te sauter dessus si tu tiens de la nourriture. Le temple est en haut d’une colline, qui offre une belle vue de la ville. Des dévots se recueillent, posent des offrandes, vivent leur vie spirituelle, entourés de touristes greffés à leur caméra, dont moi tellement c’est beau. Les couleurs des fleurs et des taches de craie détonnent sur les pierres et le temps gris. Des hommes grimpent sur les hauteurs du temple par des échelles bancales pour décrocher les guirlandes de drapeaux et en remettre des propres. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Jour 2: Le chauffeur de Binod me dépose à un autobus rempli de vacanciers. Je me mêle aux familles nombreuses aux sacs remplis de chips, bonbons et glaces qui vont passer la journée à Changragiri, une montagne dont le sommet a récemment été aménagé en camp de jour. Des télécabines y grimpent, mais je préfère marcher. Trois kilomètres pour un de dénivelé; j’avais oublié qu’on était en altitude et que l’air y est timide. Il fait lourd et je sue à grosses gouttes sur ce chemin maintenant abandonné, mais j’arrive au bout, après deux heures et trois litres de sueur. J’y trouve des aires de jeux, un vrai food court et une tour d’observation. On est supposé y voir la chaîne de l’Himalaya, mais le ciel est gris et bas, dommage. Ça n’empêche pas le monde de se prendre en photo devant ce rideau blanc, tout pour prouver qu’on était là. Mais j’aime l’ambiance dominicale. Après quelques secondes d'hésitation, mes genoux prennent l’option mécanique pour descendre. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Jour 3: j’avais parlé à Binod de mon désarroi de bientôt quitter le pays sans avoir vu l'Everest. C’est une vraie expédition de se rendre dans ce coin de pays et j'ai décidé de me concentrer sur d’autres régions, avec un pincement au cœur. J’hésite à faire un tour en avion à partir de Katmandou pour le survoler, mais le prix et l’aspect écologique me taraudent. En bon hôte, Binod a pris l’initiative d’appeler son contact agent de voyage et m’a organisé tout ça. T’avais dit que c’était décidé, non? Bon d’accord. Je me retrouve donc à 7h à l’aéroport. J’avais pas bien pensé à mon affaire et n’avais pas réalisé que j’allais passer les sécurité d’un avion, mais par un bon hasard j’ai mon passeport avec moi, et la sécurité ignore, après hésitation, mon fidèle couteau suisse que j’ai dans mon sac.

        L’avion contient deux rangées de deux sièges en largeur, et environ quinze en longueur. Uniquement les sièges hublot sont occupés, pour la vue évidemment. Je fais avancer le réchauffement climatique à grands pas… Pour me punir, on me donne le siège sous l’aile. Le décollage se fait dans les nuages, ça veut dire qu’en plus on va rien voir? Pardon planète! Puis soudain,les nuages se tassent et les montagnes blanches apparaissent à mes côtés. Sublimes, royales. Pendant que j’observe cette splendeur, l’hôtesse fait entrer un à un les passagers du côté ville. Je ne saurais quelle montagne choisir comme préférée, je les adopte toutes. Après vingt minutes, on me le pointe du doigt, ce mont en triangle, un peu plus haut que les autres. L’Everest, la plus haute montagne du monde, là devant nous. Une petite larme me monte à l'œil. Protagoniste de nombreuses histoires, expéditions, rêves, et je peux presque la toucher (sans l’inconvénient du froid extrême, de l’oxygène rare et du risque d’en mourir, c’est plus plaisant).

        C’est à mon tour d’aller dans le cockpit, et ça tombe au moment ou la femme pilote (bonus dans ce pays patriarcale) fait demi-tout, révélant une vue bancale de l’inoubliable sommet. Pardon planète, mais je ne regrette rien.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Près de l’aéroport, il y a le temple hindouiste Pashupatinath. J’hésitais à y aller, car chaque jour, des corps s’y font incinérer. Étrange activité touristique, mais Binod tient à ce que je vois ça, et ça fait du sens quand on pense à sa façon de voir la vie, et la mort. Il a pris beaucoup de risques dans sa vie, sans jamais avoir peur de sa fin, qui est une étape naturelle obligatoire. Il est prêt, et à du toujours l’être. Par exemple, aujourd’hui, après s’être abstenu de boire de l’alcool pendant dix ans pour raison de santé, il savoure un verre de scotch de temps en temps. C’est un plaisir de sa vie, tant pis si ça l’écourte puisqu’il a fait tout ce qu’il avait à faire. C’est en pensant à tout ça que je me rends au temple. Je suis persuadée que le rituel, de toute façon, se fait à l’abris des regards non familiers, quand j’aperçois des pieds inertes, dépasser d’une masse à la forme d’un corps  enroulée d’un linge blanc. Je reste un peu en retrait, espérant ne déranger personne. Je n’arrive pas à partir. Deux hommes recouvrent le corps de bûches, visiblement en respectant un ordre et un rituel, les pieds dépassant toujours. Ce que j’imagine être des proches du défunt disposent de la paille sur le dessus, en finissant pas les pieds, puis y mettent le feu. Une épaisse fumée noire s’en dégage, tandis que les proches s'assoient en retrait. Le monde n’a pas l’air triste. Tout ceci a plutôt l’air d’une étape, d’un recueillement nécessaire. Binod m’apprend plus tard que c’est un honneur de se faire incinérer en ces lieux, mais un honneur onéreux. Plus on s'approche du centre sacré, plus c’est cher.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Je vais ensuite à la stupa bouddhiste Bodnath. Haut lieu de réfugiés tibétains et lieu de pèlerinage. Hommes et femmes font des salutations au soleil à n’en plus finir, diverses cérémonies aux alentours font entendre tambours et trompettes. La stupa est immense. En faire le tour me donne l’impression de colorier un mandala et de retrouver mon centre. J’apprends que les yeux de Bouddha représentent la méthode et la sagesse, et son nez le nirvana.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Je finis ma journée par un tour dans le quartier Ason, où un gros marché bondé de monde et d’étalage est une explosion de couleur et de bonnes odeurs.

       Le soir, Bigyan sort deux gros albums de photos de leur mariage. Ça te tente? Mets-en! Sacchi porte une robe et un voile rouge, symbole de bonheur. Bigyan est vêtu d’un ensemble pantalon tunique parme avec des motifs dorés, et une grosse ceinture kaki. Chacun est accompagné de son témoin aux couleurs assorties. Le cérémonial sérieux est apparent, mais quelques photos ont su capter leur déconcentration souriante. Quand je demande à Sacchi si elle attend un garçon ou une fille, elle me dit qu’il est interdit de le savoir avant la naissance… parce que pour certains encore, l’un est préférable à l’autre.

 

        Jour 4: direction Bhaktapur. C’est le troisième royaume, après Katmandou et Patan. Chaque lieu a été légué à trois frères par leur père, et ils ont rivalisé dans la construction du plus beau Durbar Square. J’en profite pour observer une dernière fois cette architecture si intéressante, imposante par ses grands toits et ses statues de bêtes mystiques. Malheureusement, il est encore visible que le tremblement de terre de 2015 n’a pas été tendre ici non plus et certains édifices sont entourés d'échafaudages de bambou, qui à eux-seuls sont une prouesse technique.

        Il est temps de dire au revoir au Népal. Je ne savais pas à quoi m’attendre en arrivant. J’y ai trouvé de l’extrême gentillesse, de la volonté et de la beauté. Mais par-dessus tout, un amour inconditionnel pour le dal bhat.

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