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GRANDE  BRETAGNE

Écosse - Great Glen Way

GREAT GLEN WAY

Gret glenn way

Janvier 2020

        Je rêve des Highlands depuis mon passage furtif il y a quelques années dans ces mystiques montagnes. En prospectant sur les randonnées à y faire, je me suis arrêtée sur le Great Glen Way, 127 kilomètres qui traversent le pays d’ouest en est (sens facultatif). J’allais abandonner l’idée à force de lire des articles déconseillant de le parcourir l’hiver (ma seule fenêtre), jusqu’à ce que je tombe sur le récit d’un homme qui l’a fait et qui dit que y’a rien là. Un contre vingt, ça me suffit. Espérons que ce n’était pas Mike Horn.

 

         Parfois ça coûte cher de limiter son empreinte carbone. J'ai commençé à penser à cette expédition en marchant pour le jour de la Terre. Je venais d’acheter des billets d’avion pour aller voir ma famille en France pour Noël, j’allais peut-être pas abuser de là jusqu’à l’Écosse. Je choisis donc le train. Il coûte trois fois plus cher que l’avion, et prend huit fois plus de temps. Du temps, j’en ai. L’argent, je le trouve. Lyon-Paris, Paris-Londres, Londres-Glasgow, Glasgow-Fort William. C’est ma première fois dans l’Eurostar, ce train qui plonge sous la Manche pour émerger de l’autre bord. Je pensais sauter dans la mer, avoir les oreilles bouchées, sentir le poids de l’eau, puis réapparaître dans la splendeur british. En réalité, le monde extérieur éteint la lumière pendant vingt minutes et c’est tout.

        À Lancaster, le cheminot annonce qu’il attend un coup de fil pour continuer, mais qu’un autre train pour Glasgow arrive au quai numéro 5. Un contact visuel avec une femme assise de l’autre côté du couloir se crée. Elle m’aide à comprendre les instructions d’une radiophonie passée date, je la motive à suivre d’autres passagers qui ramassent leurs cliques et leurs claques, et on s’assure que l’une et l’autre arrive à bon port. Nouvelle angoisse dans ce nouveau train; va-t-il desservir toutes les mini villes du pays? Me semble qu’on avance pas ben vite. Mon prochain train à Glasgow est à 18h20… L’accent anglais nordiste me fait comprendre qu’on arrive à 17h quelque chose, c’est assez pour me rassurer.

        À l’entrée dans les Highland, les paysages sont du vert zen d’un yoga pas chaud. Ils donnent envie de s’y emmitoufler. Les troupeaux de moutons noirs ou blancs se succèdent en se donnant la patte. Au fur et à mesure que la nuit tombe, les bancs de neige augmentent avec mon anxiété. Ai-je assez de linge chaud? C’était qui, le gars qui à dit que l’hiver n’était pas un problème? En sortant du train, la neige a disparu et la température est bien supportable. Fiou. Au dodo, il est tard.


 

JOUR 1 - Fort William - Gairlochy (Span Bridge) - 16 kms (+6km)

 

        Un défi avec l’hiver écossais, c’est que les journées sont courtes. Lever de soleil à 8H30, coucher à 16h. Je sors aux premières lueurs. Après quelques minutes, je me rends compte que j’ai raté le début. Déjà. Je rebrousse chemin pour aller sur le fameux Fort William et observer la stèle de début de parcours, histoire de ne plus rien manquer. Dans la traversée de la ville, des locaux m’orientent sans que je leur demande mon chemin. Je dois pas avoir l’air d’aller au bureau. Dès que j’arrive dans un sous-bois, j’en profite pour me déculotter pour couper une étiquette qui essaie d’entailler ma cuisse, avec mon tout nouveau couteau suisse cadeau de noël de mon frère. Il m’avait demandé de prendre une photo de la première utilisation, mais je pense pas que celle-ci soit à marquer d’un souvenir.

        Je traverse la ville de Coal, qui porte mal son nom puisqu’elle est douce et colorée. Le bord du Loch Eil est fascinant. Des bourrasques de vent le rendent noir de colère. Il s’agite comme pour montrer comment il sera puissant quand il sera la mer. Une agréable odeur de marais enveloppe l’espace et les oiseaux jouent à flotter. Les quelques personnes que je croise, en rien perturbées par les éléments chahuteurs, me souhaitent une bonne journée. La plupart des toits des maisons sont surmontés de panneaux solaires, que j’imagine plus efficaces l’été. Je longe un canal un très long moment. Le vent souffle fort, et crée des traînées sur l'eau, qu’on pourrait prendre pour la nage subaquatique d’un monstre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Le peu qui est ouvert à Gairlochy l’été, est fermé l’hiver. Autre inconvénient à se promener l’hiver en Écosse. Je dois ajouter six kilomètres à ma journée pour rejoindre la ville de Span Bridge, où j’ai réservé dans un bed and breakfast. Le vent joueur est maintenant accompagné d’une pluie un peu ivre. Ça fait trente minutes que je marche sous l’eau, le long de la route, rêvant à une bonne bière dans un pub, quand une voiture orange s’arrête. Veux-tu un lift au village ? Oui madame. Ma bienfaitrice a 65 ans. Elle a grandi ici, avant d’aller vivre à Glasgow. Quand sa mère est tombée malade, elle est revenue dans le coin, et a ouvert le seul B&B à Gairlochy, jusqu’à ce qu’elle le ferme. Récemment. Merci pour le lift, mais en même temps, c’est un peu ta faute ce détour.

        Le Braes Guest House est un pur bonheur. Seule cliente, on me traite aux petits soins. Après une bonne douche chaude, on me sert du thé et des biscuits, que je mange auprès du feu qu’on a allumé en mon honneur. Et le charbon, ça chauffe en ta! Comme aucun restaurant n’est ouvert en ville, les propriétaires font entorse à leur règle et me préparent un souper. La tempête fait rage dehors, j’espère que ce sera plus calme demain.


 

JOUR 2: Gairlocky - Laggan - 19 kms

 

        À mon réveil, le vent souffle encore violemment dehors. Pour me donner du courage, mon hôte m’a préparé un déjeuner de championne: œufs brouillés, champignons poêlés, tomates, toast, porridge. J’étudie la carte pour voir s’il y a des villages sur le chemin, mais rien. Va falloir me rendre jusqu’au bout. Je demande à mon hôte si c’est dangereux d’aller marcher. Silence. Puis “you should be fine”. Mais il me demande de faire très attention puisque “you’re all alone”. Oui je sais. Il me donne un lift jusqu’au sentier à Gairlochy, pendant lequel il me parle des changements climatiques visibles des dernières années et de qui est le pire, le charbon ou le lithium des voitures électriques? Il me donne sa carte avec son numéro, si j’ai besoin de quoi que ce soit. Je me remémore la scène du film Into the Wild, quand un homme fait le même geste envers Alex Mcandless, avant qu’il aille se perdre dans l’Alaska. Tout ira bien. Même si mon lift d’hier m’a dit de rester éloignée des arbres en cas de tempête. Ça va pas être facile en forêt.

        La route longe le loch Lochy. Je suis en colère contre moi-même quand je m’aperçois que j’ai raté la bifurcation pour un chemin plus près du lac. Aller le reprendre serait revenir deux kilomètres en arrière, et je ne suis qu’au début d’une journée qui s’annonce climatiquement périlleuse. Tant pis, je recroiserai le chemin dans un autre deux kilomètres. Un trou dans les nuages gris semble me suivre avec un rayon lumineux. Le ciel me spotlight. Je prends ça comme une bienveillance. Deux cerfs se jettent à répétition au loin sur un grillage, comme des mouches sur une vitre. C’est captivant et épeurant. Ils m’aperçoivent. J’espère qu’il ne vont pas déverser leur frustration sur moi, mais ils ont plutôt l’air gêné que quelqu’un ait vu leur maladresse, et s’échappent par la route. Le pluie, la neige et le soleil s’alternent équitablement; pas de jaloux. Le temps maussade rend les passages ensoleillés encore plus brillants et merveilleux. La mousse omniprésente est d'un vert fluo. Les rares maisons sont à la fois modernes et bien écossaises. Elles arborent en général le nom de famille du propriétaire, comme le domaine d’un clan. Je passe près des vestiges de guerre, des lieux d'entraînement à un débarquement durant la seconde guerre mondiale. Un fond sonore de coups de fusil me fait comprendre qu’on est en période de chasse. Je m’inquiète pour les cerfs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        La route goudronnée devient terreuse et déserte. Le temps s’éclaircit de plus en plus et une multitude de petites cascades agrémentent le chemin. La forêt semble magique. Il règne une lumière dorée de fin d’après-midi. Au bout du lac, des prés sont peuplés de moutons tachetés de peinture, propriété du berger (ça résiste à la pluie? Part au lavage?). J’ai demandé une fois à ma grand-mère comment elle comptait les moutons, ce qu’elle me faisait souvent faire pour m’endormir. Elle les imaginait en troupeau, alors que moi je les voyais sauter une barrière un à un.

        Arrivée à Laggan, je vais dans le seul établissement ouvert en cette saison; une auberge de jeunesse, dont je suis encore une fois la seule cliente! Le tenancier m’informe qu’une portion du sentier est fermée en ce moment. Une partie du canal a été vidé pour réparer une écluse brisée. L’eau ne supportant plus la berge, elle s’est écroulée sous le poids d’un tracteur. Des navettes sont organisées pour cette partie, et le tenancier prend un rendez-vous pour moi. Je n’ai donc que dix kilomètres à marcher demain, plus dix autres en voiture. De la triche.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOUR 3 - Laggan - Fort Augustus - 10 kms (au lieu de 20 kms)

 

        Je ne suis pas pressée aujourd’hui. Dix kilomètres me séparent du pont de Oich, où je dois être à 13h pour la navette vers Fort Augustus. Je veux quand même partir pas trop tard. Je veux dépasser le point de rendez-vous et aller aussi loin que possible sur le chemin (environ cinq kilomètres qu’on me dit) et revenir, pour avoir moins l’impression de tricher. Je prends mon déjeuner avec la femme qui tient le bureau aujourd’hui. Elle m’explique qu’autour de Laggan, presque toute l’électricité fournie vient des barrages, panneaux solaires et autres énergies vertes. Ça leur permet de rester ouverts en période creuse, contrairement à Invermoriston, où j’ai beaucoup de mal à trouver un logement. Ça leur coûte bien trop cher de chauffer pour si peu de clients.

 

        Le chemin n’est que de la pluie. Aujourd’hui elle ne cessera pas. Je ne prends pas tant mon temps finalement. Je suis l'ancienne voie de chemin de fer D’Invergarry, l’ancêtre de cette belle randonnée. Les écossais ont construit cette traversée de pays pour gagner du temps dans le transport de bétail, et le canal qui relie les lacs donnait une alternative aux bateaux qui se faisaient attaquer en mer. Je chante pour intimider la pluie, mais ça ne lui fait ni chaud ni froid. Et comme je ne connais que des bouts de chansons, je sonne comme un disque rayé. Des biches m’observent, puis s’échappent quand je les regarde. Elles sont nulles au jeu 1,2,3 soleil. Un mini tunnel providentiel me permet de m’abriter une minute, et de voir sur mon plan que je suis bientôt arrivée. Bien trop tôt. Pourquoi n’ai-je pas fait la grasse matinée comme une personne normale?

        J’arrive au bout du loch Oich. Les arbres ne me protègent plus, et le vent s’en donne à coeur joie. Il courbe les arbres robustes, creuse le lac, transforme les gouttes en petits pics. C’est beau. C’est très beau, mais je sens que ma face est rouge  et que mes mains n’ont plus de sang en elles. J’arrive au pont, lieu de départ de la navette. Il est 11h15… J’essaie de continuer comme prévu, mais une barrière bloque prématurément le chemin. Il n’y a rien pour s’abriter. Le peu présent est fermé. Je m’assois sur un banc un tout petit peu à l’abri du vent, et mange des granolas. Après 15 minutes qui m’en paraissent 45, je me lève. L’autre option est de prendre la route vers la ville. Je m’y lance, juste pour bouger. Mais il n’y a pas de trottoir, et les camions qui roulent sur les flaques d’eau finissent le travail de la pluie en m'aspergeant. Ça suffit! Un gars de construction mange son sandwich dans son auto. Je lui demande s’il peut appeler pour moi la navette, qu’elle vienne me chercher plus tôt. Il dit pas de problème, je peux t’amener en ville. Non merci, je veux juste devancer mon rendez-vous, mais il libère le siège passager et allume le moteur. Ok, mais j’aimerais quand même prévenir mon lift… En fait, il ne me comprend pas bien, et moi je ne le comprends pas du tout. Tout un accent ce bonhomme. Je comprends qu’il me demande ce que je fais dans la vie. Du cinéma. Puis je ne sais plus trop ce que j’entends pour répondre oui, mais lui pense que je suis en repérages pour un film. Heureusement, en dix minutes on est en ville. Merci !

        Personne ne répond à mon auberge, je suis en avance sur l’heure d’enregistrement. Je trouve un restaurant ouvert, où la serveuse ne comprend pas bien pourquoi, mais me prête son téléphone. J’imagine un avis de recherche lancé pour la randonneuse perdue sous la pluie. Après plusieurs tentatives, j’arrive à prévenir les personnes concernées que je suis arrivée, rappelez les chiens. Tout va bien, à part que je suis trempée jusqu’aux os. La pluie a trouvé son chemin sous ma parure de goretex. J’ai l’air d’un chien mouillé qui ne sait pas quoi faire de sa nouvelle morphologie. Mes poils et ma confiance sont collés à ma peau et je mets de l’eau partout dans la maison.

        J’avais prévu de faire une journée de tourisme quelque part, et je pense la faire ici. Il n’y a pas un, mais deux restaurants d’ouverts, l’auberge est agréable, et surtout, ça me prend toute la soirée pour trouver un hébergement à Invermoriston, ma prochaine étape. J’ai même pensé à arrêter le projet à cause de ça. J’ai finalement trouvé un airbnb qui normalement loue pour deux nuits minimum, mais fait une exception pour une randonneuse qui s’est trompée de saison.

 

JOUR 4 - Fort Augustus

 

        J’essaie d’avoir des informations sur la ville auprès du couple qui prend son petit déjeuner avec moi à l’auberge, mais leur rhume commun fait souffrir leurs paroles, qu’ils économisent. Alors faute d’idée, je commence à marcher le long du canal calédonien. Le temps est relativement clément (en terme écossais) et je me rends compte que je suis sur le Great Glen Way! C’est par là que je serais arrivée, si l’écluse n’avait pas fait sa précieuse. Alors pourquoi ne pas aller le plus loin possible, histoire de diminuer un peu mon sentiment de tricherie d’avoir fait un bout en auto. Trois kilomètres jusqu’au Kytra lock, c’est pas mal. Le canal est en partie vidé, ça lui donne un air menaçant. Les montagnes enneigées profilent au loin, et le ciel annonce toutes les saisons.

        J’ai testé les deux restaurants de la ville hier, et retourne à l’un d’eux, parce que, le temps n’est pas au pique-nique. On m’y accueille d’un “hello again”. J’ai déjà mes habitudes dans cette ville qui m'héberge depuis tout juste 24 heures… Que dire de la gastronomie écossaise. De sa partie végétarienne du moins. Pâtes et pommes de terre. Ensemble. Chaque fois. La subtilité vient de la salade tailladée sur le côté de l’assiette. Même si elle était fraîche, elle est un peu gâchée  par le demi oignon grossièrement haché qui la surmonte. Tout de même merci Écosse, il y a toujours une option végétarienne partout où je vais.

        Oh miracle, les croisières sur le Loch Ness sont en activité même en hiver. Je suis rejointe par un bus de touristes en provenance d'Edimbourg. Le chef de cabine nous raconte des légendes sur ce poisson préhistorique, à moins que ce ne soit un mammifère? On longe un pierrier en forme de fer à cheval, vestige d’une tentative de Nessie de remonter la falaise, pour en tomber en emportant une partie de la rive avec lui. Un homme très malin y a un jour posé une cage pleine de saumons, persuadé d’arriver ainsi à démasquer l’animal; mais il ne s’est pas laissé berner. Les légendes à son sujet remontent à des centaines d’années. En fait, chaque lac d’Écosse avait son monstre, mais les riverains du loch Ness ont su faire perdurer le leur (et en faire leur fond de commerce). Nessie a eu beaucoup de noms et de visages, mais est resté l’âme du lac. L’engouement du capitaine pour le monstre est communicatif. Il nous explique que non, il n’y a jamais eu de preuve photographique, mais les témoignages sont nombreux. Non, les radars de plus en plus performants ne l’ont jamais détecté, mais il y a tellement de végétation dans les fonds, qu’il peut très bien s’y cacher chaque fois qu’un bateau passe. S’il est méchant, son antagoniste est-elle la licorne? Bien qu’il soit toujours représenté souriant, ou du moins prêt à faire un câlin. Il est comme un test de Rorschach, on y voit ce qu’on a envie de voir dans les profondeurs de ce lac noir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

JOUR 5 - Fort Augustus - Invermoriston - 13 kms

 

        Petite journée, juste 13 kilomètres jusqu’à Invermoriston. Les trois premiers jours étaient assez plats, et les trois prochains vont être un peu plus pentus. Et celui-ci démarre fort. Juste 250 mètres de dénivelé, mais raide, qu’on en finisse. Des sons de fusils au loin me rappellent qu’on est en période de chasse, et j’ai peur pour les cerfs, mais suis contente que mon protège sac soit vert lime fluo. 

        En haut, c’est la récompense, comme l’avait promis mon guide. Je marche sur une crête des Highland, le long du loch Ness. Le vent et la bruine ne ternissent pas le sentiment de plonger dans l’essence même de l’Écosse et c’est magnifique. J’imagine le sentier surpeuplé pendant l’été, et je préfère plisser les yeux sous les gouttes. Le panorama permet de voir le chemin effectué et à venir sur l’herbe cuivrée qui recouvre la montagne. Les nuages se bousculent sur la même latitude au sommet des montagnes de l’autre rive. Je vois bien le pierrier où Nessie a essayé de grimper. Bel effort!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

          Croyant d’abord à une vision, je vois au loin une silhouette bleue, un bipède au dos rehaussé d’un sac à dos. C’est le premier humain que je rencontre sur le sentier. J’imagine que la même stupeur le frappe. C’est tout sourire qu’il me sert la main en me croisant. Il s’appelle Sam, de Londres. En voyage d'affaires à Inverness, il profite de sa journée de congé pour marcher. Il ne s’attendait pas à croiser quelqu’un et est réellement heureux que les montagnes ne passent pas l'hiver toutes seules. Il est un peu déçu du temps, mais en bon anglais, il fait avec.

        J’arrive presque à la forêt qui va me faire redescendre vers le village, quand le soleil sort en grande forme. C’est comme si la randonnée voulait donner un maximum de diaporama au sommet. Il découvre un bel aperçu de la vallée et je suis contente pour Sam qui aura du beau temps après tout. Une jolie forêt moussue me divertit de la descente demandante pour mes genoux. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Après tant de difficultés à trouver un hébergement, j’ai finalement trouvé un airbnb tenu par un couple qui vit dans la maison mitoyenne. Ils me proposent de m’accompagner à Drumnadrochit pour aller acheter de quoi manger (c'est rapide en voiture!), mais j’avais prévu qu’il n’y aurait pas de restaurant ici. Et en bonne galérienne, j’ai même mis dans mon sac mon reste de pain d’hier soir (une demie baguette servie avec la soupe!), qui va très bien avec le pot de confiture locale qui trône dans la cuisine. Comme il est tôt, je vais faire un tour dans la forêt d’à côté. Un vrai petit coin de paradis, avec une magnifique cascade. Pour finir, je remplis la bien trop belle théière d’eau chaude et me réchauffe avec le thé qui a sa place dans toutes les auberges, aussi fidèle que le mobilier. L’hôte cogne à la porte, avec un billet de 20 livres, parce qu’il trouve qu’il m’a trop chargé pour une seule nuit. Bloody hell.


 

JOUR 6 - Invermoriston - Drumnadrochit - 22 kms

 

        Je commence à marcher à l’heure bleue. J'aimerais arriver au plus tard à 14h pour aller au Loch Ness museum qui ferme à 15h30. Le soleil se lève sous une pluie fine, mais je m’échappe par le haut. La pluie s’arrête vite, pas sans laisser la rue verglaçante, m’obligeant à marcher sur l’herbe craquante du bas-côté. Plus je monte, plus le frimas est installé, jusqu’à devenir une fine poudreuse. En hauteur, c’est le toit de l’Écosse; il m’a manqué depuis hier. Il est tout blanc, sous un ciel rosé qui promet une belle journée. Un cercle de bois nommé viewcatcher met en valeur une vue qui n’en a pourtant pas besoin. Les montées et descentes se font dans cette mousse blanche soyeuse douce pour les genoux. Je traverse le pont aux trolls, qui fait travailler l’imagination. Je suis les traces de ce que je pense être un lapin, qui s’est décidé à marcher sur le chemin sur plusieurs centaines de mètres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

          Quand je pense à poser mon sac pour essayer d’y trouver mes lunettes de soleil perdues dans le fond, une mystérieuse tempête de neige s'abat sur moi. Dix minutes de presque whiteout, puis le soleil réapparaît dans un ciel complètement bleu. Plus de trace d’aucun nuage. N’était-ce qu’un rêve?

         Dans la descente vers la vallée, la neige se transforme en boue. Avec mes chaussures de montagne, je me sens comme une enfant qui saute dans les flaques avec ses bottes de pluie. Mes fidèles bottes ont prouvé leur résistance aux éléments, et elles ont toute ma confiance. Même pas peur. Une odeur de printemps s’installe, et le son des oiseaux s’intensifie. On est passé de l’automne, à l’hiver puis au printemps en quatre heures.

        Par chance, la poterie/café Loch Ness Claywork est ouverte, et je m’y gâte d’un délicieux chocolat chaud, servi dans un bol né ici-même. Admiratrice de l’art de la terre cuite, j’opère à l’achat totalement illogique d’une assiette. Parce que ça se transporte bien en rando…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Je pose mon sac à mon auberge à 13h55. Juste le temps d'aller au musée… fermé pour rénovations. Une des pièces est ouverte, et j’y apprends quand même des choses:

  • le canal calédonien, que je longe depuis six jours, a pris douze ans à être réalisé, et a été inauguré en 1822, principalement pour faciliter la traversée du pays aux bateaux de pêche. Il comporte vingt-neuf écluses.

  • John Cobb, un amoureux de la vitesse et détenteur du record sur terre, est mort sur le loch Ness en voulant battre celui sur l’eau. Son bateau s’appelait le Crusader. Alors qu’il était à 320 km/h (nouveau record), son embarcation vacille et s’écrase, lui étant fatal. Techniquement, pour que la vitesse soit valide, John Cobb aurait dû revenir à son point de départ. Son état cadavérique l’en empêchant, le record n’est pas officiel.

  • même si l’apparition des sonars a permis de sonder le lac et de ne rien y trouver d’étrange, la vase au fond est si profonde qu’un gros animal pourrait facilement s’y cacher. Je commence à y croire.


 

JOUR 7 - Drumnadrochit - Inverness - 32 kms

 

        Grosse journée aujourd’hui. Le plus gros défi va être d’arriver avant la nuit qui tombe à 16h. Le fait que les deux derniers kilomètres se fassent dans la ville me donne un peu de jeu. Je pars quand même à l’aube. Le ciel rose accompagne la montée, qui offre une vue sur le château d’Urquhart, ou plutôt des quelques murs qui en restent. Je rattrape vite Chris et Jenny, un père et sa fille. Chris me raconte avec une grande fierté que sa fille, mère de trois enfants, trois chiens et directrice d’entreprise, s’est faite convaincre par une amie de l’accompagner  au premier camp de base de l'Everest dans quelques mois. Jenny est plus réservée quand elle m’explique que c’est pour elle un défi, après avoir laissé son corps un peu trop longtemps au repos (selon ses dires). Depuis six mois elle travaille avec un entraîneur pour se remettre en forme. Ils vont aujourd’hui jusqu’à Inverness, où un ami vient les chercher. Elle s’inquiète parce qu’elle est déjà essoufflée et a peur de viser trop haut avec son objectif himalayen. Je lui parle du Népal, de tous les beaux panoramas et des excellents repas qui l’attendent. Je lui assure que son guide prendra bien soin d’elle, et qu’elle ne marchera sûrement pas trente kilomètres par jour. Pour ma part, parler à Chris et Jenny m’a permis de finir la montée sans m’en apercevoir. Je les sème lorsqu’ils prennent une pause; je n’ose pas leur parler de ma crainte de finir la journée dans le noir.

        J’arrive à la douce neige qui me ralentit un peu. Le ciel devient menaçant, et le terrain n’est pas aussi vierge que les derniers jours. Il y a beaucoup d’empreintes humaines et canines. À peu près au tiers du chemin, je m’arrête au Abriachan Eco cafe, histoire de séparer la journée en deux. En sortant un peu du chemin, on tombe sur un terrain plein de tables de piquenique, et au fond une maison, dont la cheminée échappe une belle fumée. Un panneau indique qu’il faut se rendre à la maison pour commander, mais je ne sais pas pourquoi ça me paraît compliqué et trop long. Alors je m’assois juste une minute et sors mon fidèle thermos de thé bien chaud. J’entends des pas s'approcher et suppose qu’on ma vu de la maison, mais la femme fait un grand saut en me voyant. Si je veux, il y a de la soupe qui ne demande qu’à être réchauffée. D’accord. Ça vient avec de la coriandre fraîche. D'accord. Et des crackers, du cheddar et des tomates cerises ? D’accord.

        Pendant que j’attends, un rouge-gorge vient se poser près de moi et pousse sa chansonnette. Bientôt, un barbu au ciré jaune apporte un plateau à l’odeur affriolante. Il me dit de garder la facture, sur laquelle il y a son numéro, parce que “everyboy gets lost here”. J’espère que non. Heureusement, il me le dit avec ce magnifique timbre de voix écossais, alors ça fait moins peur. Le rouge-gorge me tient compagnie pendant que toutes les saveurs de la soupe et de ses accompagnateurs culinaires et gustatifs me revigorent le corps qui commence à être un peu usé. Je donne un petit bout de cracker à mon ami l’oiseau, qui aussitôt le sert dans son bec et s’envole pour ne pas revenir. Même pas un au revoir?

        Il est temps de partir. Je laisse un billet sous le poivrier comme convenu, et emporte la facture, juste au cas où. Le vent s’intensifie quand j’arrive sur une plaine. Les arbres sont tous courbés dans le même sens, c’est pas leur première fois. Quand j'atteins une grosse girouette, elle change soudainement de sens, entraînant les arbres avec elle. Dans ma tête, j’entends le capitaine de l'allée des cerisiers déclarer de sa voix forte “le vent tourne, moussaillon" (Mary Poppins).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        S’ensuit un long, long chemin suivant un muret en pierre vert de mousse, comme une belle, mais fastidieuse, ligne directrice. C’est vrai qu’il n’y avait pas d’autre chemin possible, et il est donc inutile de planter inutilement le symbole de chardon que je suis depuis le premier jour, mais il me rassurerait. Il éviterait le doute, la réminiscence du “everybody gets lost here”, et de l’idée insoutenable de peut-être devoir rebrousser chemin de quelques kilomètres après déjà plus de vingt dans les jambes. Que je le trouve beau, ce chardon, quand il se montre enfin sur une barrière. Il indique aussi l’approche de la ville. 

        La fin du sentier est un zigzag en arrière de jardins privés, d’un golf (qui me fait sentir encore plus sale), puis au travers des îles Ness, un genre de Central Park insulaire charmant, plein de chiens aux gros manteaux de poils tout doux. Je ne m’arrête pas à mon auberge presque sur le chemin, pour aller jusqu’à l’arrivée officiel du sentier, au château d’Inverness (assez moderne).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Ça y est, c’est fini. Je fête ça en ouvrant la mini bouteille de scotch que j’ai achetée hier. Je retourne tranquillement vers l’auberge. J’ai tout mon temps maintenant, plus rien à prouver, et le scotch me fait arriver bien joyeuse. L’auberge sent la maison fleurie, tous les meubles sont beaux et la moquette bien moelleuse.

        Le soir, je trouve un beau pub où je peux savourer un bon repas et une bonne bière. Je me sens comme en retour de camping, quand on est content de retrouver l’électricité, mais que l’air nous manque.

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